Photographie

Les arrêts sur image d’Éric Rondepierre

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 25 février 2015 - 581 mots

Dans deux expositions simultanées réunies sous le même titre, le photographe déploie 26 années d’images de cinéma traquées puis isolées, qui ont fondé un parcours dédié au détournement de sens.

PARIS - « Le cinéma nous englobe à l’intérieur de lui pour autant que nous sachions en visiter le monde tel qu’il s’apparaît – du verbe s’apparaître qui signifie aujourd’hui, 8 octobre, se donner en spectacle à soi-même, se faire son cinéma, s’inventer une légende, et par extension se souvenir », écrit Éric Rondepierre dans son dernier livre Champs-Élysées. Depuis vingt-six ans, le cinéma est effectivement la matrice de son œuvre. Le millier de films visionnés forme, de son côté, la source d’images secondes repérées et fixées à leur tour en une seule par l’appareil photographique dans le déplacement de sens et d’enjeux recherchés par l’artiste. En trois lieux et trois temps successifs, si l’on prend en compte l’exposition que consacrera sa galerie parisienne à la dernière série « Background », les cheminements distincts qu’il a conçus pour la Maison européenne de la photographie (MEP) et la Maison d’art Bernard Anthonioz témoignent de sa recherche sans cesse renouvelée de donner à l’arrêt sur image un autre espace, « une autre assise », dit-il. D’un lieu à un autre, les trois grandes périodes de son travail, articulées successivement autour du prélèvement d’abord, de la constitution ensuite, puis de la reconstitution, sont regroupées.

Fictions à partir d’archives
À la MEP, fluide et sans rupture, file un parcours chronologique en soixante quinze images construit à partir de différentes séries dont Éric Rondepierre a sélectionné les pièces, pensé l’organisation et l’accrochage. L’écriture développe de bout en bout sa singularité unique en photographie et plus largement en arts plastiques. À la Maison d’art Bernard Anthonioz, on se laisse porter tout autant par les jeux et les résonances propres à la quarantaine de photogrammes inédits issus des mêmes séries présentée à la MEP, telle que « Précis de Décomposition », série de photogrammes entamée en 1993 à Washington et construite autour de la corrosion et la décoloration de l’image de films visionnés dans différentes cinémathèques et autres lieux de par le monde. Depuis la première série « Excédents, Spectre », commencée en 1989 et reposant sur des images de films compléments noires repérées, puis captées pour leur sous-titrage, Éric Rondepierre – l’ancien comédien, danseur et performeur qu’il fut successivement auparavant – reconfigure la fiction du film à son usage. La dernière série « Background » révélée à la Maison d’art Bernard Anthonioz n’y échappe pas dans son principe de reconstitution, remaniement d’un autre décor construit en vue panoramique à partir de ceux de films célèbres vidés de leurs acteurs. Que ce soit par une opération d’autopsie ou de recomposition, l’image seconde d’un film devient autre, une image plastique autonome.

Par la révélation de ce que l’on ne voit pas ou par le détournement de l’image, Éric Rondepierre instaure et suscite instantanément d’autres perceptions, d’autres consciences, d’autres projections dans un incessant croisement temporel où, à partir des années 2 000, l’écrit et/ou l’autobiographie s’insèrent. On dit souvent de la démarche d’Éric Rondepierre – du moins pour celle qui correspond à la période relative au prélèvement – qu’elle tient de l’archéologue, du sismologue. Mais elle touche  avant tout son rapport à la fiction, mais aussi au réel, à la littérature, à sa vie quotidienne qu’il photographie et à la fragilité du vivant porteur d’états, de souvenirs poétiques à la mélancolie sourde, modianesques tranchant avec l’humour d’« Excédents, Spectre ».

Éric Rondepierre. Images secondes, jusqu’au 4 avril Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, mercredi-dimanche, 11h-20h, entrée 8 €, www.mep-fr.org.

Éric Rondepierre. Images secondes, jusqu’au 1er mars, Maison d’Art Bernard Anthonioz, 16 rue Charles VII, 94130 Nogent-sur-Marne, mardi-vendredi 13h-18h, samedi-dimanche 12h-18h, entrée libre, maba.fnagp.g.fr. Catalogue « Éric Rondepierre Images Secondes », édition Loco, 224 pages, 55 €.

Légende photo
Eric Rondepierre, R413A, 1993-1995, série « Précis de décomposition, Scènes », 75 x 105 cm. © Éric Rondepierre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Les arrêts sur image d’Éric Rondepierre

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