GENÈVE / SUISSE
Le Musée international de la Croix-Rouge (*) montre pour la première fois ces images, parfois signées de grands photographes, documentant plus d’un siècle et demi d’action humanitaire, de la guerre de Sécession aux États-Unis à nos jours.
Genève. C’est une exposition qui se visite dans les salles souterraines du MICR, le Musée international de la Croix-Rouge, que l’on découvre caché en contrebas du siège de l’organisation de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (CICR) dans le quartier des Nations unies à Genève. Et pourtant, ce qui y est donné à voir est loin d’être à l’écart de la marche du monde : ce sont la guerre, la misère, la famine mais aussi la paix et l’espoir qui s’affichent sur les murs.
Pour la première fois, le CICR ouvre au public ses archives photographiques, qui se comptent par milliers. Créée en 1864, l’organisation humanitaire voit le jour au moment où le procédé photographique est inventé : une contemporanéité qui explique le compagnonnage de l’humanitaire avec la photographie dès ses débuts. Six cents images ont donc été sélectionnées pour tenter de cerner un genre encore mal défini, celui de la « photographie humanitaire » – car les images exposées appartiennent tant au domaine public (conçues pour « communiquer l’urgence »à travers des campagnes de communication ou d’appels au don) qu’au travail interne à l’organisation. « L’image humanitaire documente l’action humanitaire », résume Nathalie Herschdorfer, historienne de la photographie et commissaire de l’exposition « Un monde à guérir ». Dans les deux cas, la photographie se doit d’être efficace : il y a ce qu’elle raconte, ce qu’elle met en scène sans travestir la réalité des faits ; et puis il y a ce qu’elle laisse hors champ et qui appartient au domaine de l’interprétation.
L’établissement d’une grammaire visuelle de la photographie humanitaire est développée dans l’exposition, à travers des événements datés, et notamment des conflits majeurs, points d’orgue de l’activité du CICR : la guerre de Sécession aux États-Unis, première guerre documentée par les photographes ; les deux guerres mondiales ou les épisodes de famine en Éthiopie dans les années 1980. Mais le focus est également mis sur les protagonistes de certaines images tels ces enfants photographiés pour la première fois individuellement par Lewis Hine, engagé par la Croix-Rouge américaine pour garder trace de la famine en Russie, dans les années 1920.
Si de nombreux clichés présentés sont l’œuvre d’anonymes, notamment de collaborateurs du CICR, on retrouve de grands photographes comme Henri Cartier-Bresson et Martine Franck de Magnum ou Sebastião Salgado. Entre photojournalisme et photographie humanitaire, la frontière est ténue et pourtant distincte, comme le note Nathalie Herschdorfer : « La neutralité qui régente l’humanitaire prévaut également dans la photographie humanitaire. Il ne s’agit jamais de dénoncer une situation, de prendre parti pour un camp ou l’autre. Le photojournaliste, lui, apporte un témoignage sur les crises. Il a une liberté de ton que n’a pas forcément le photographe humanitaire, qui apporte un contrechamp, un autre regard sur la situation sanitaire des victimes. » Chaque année, le CICR décerne un prix, le « Visa d’or humanitaire », dans le cadre du festival de Perpignan Visa pour l’image. Après Genève, l’exposition sera à découvrir dans un autre festival, aux Rencontres de la photographie à Arles à l’été 2022.
(*) Contrairement à ce que nous avons écrit en introduction de l'article dans le JdA n°583, c'est bien le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant rouge et non le CICR lui-même qui a initié cette exposition.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : Les archives de la Croix-Rouge témoignent