METZ
Le Centre Pompidou-Metz dévoile l’univers paradoxal de l’artiste allemande et montre ses liens jusqu’ici tus avec le surréalisme.
Metz. Outre-Rhin, Rebecca Horn (née en 1944) est aussi connue que Louise Bourgeois en France. En revanche, son dernier solo show dans l’Hexagone, au Musée de Grenoble, remonte à près de vingt-cinq ans. Il y avait donc urgence à refermer cette longue parenthèse. Avec ce « Théâtre des métamorphoses », le Centre Pompidou-Metz met en lumière la richesse formelle d’une démarche artistique où tout part du corps, mais souligne aussi, grâce à plusieurs œuvres sorties de ses collections, les affinités avec certains des créateurs l’ayant précédée, en particulier ceux ayant côtoyé le surréalisme.
Rebecca Horn a longtemps craint l’effet réducteur qu’aurait pu avoir cet éclairage, explique la commissaire Alexandra Müller. Elle l’a cette fois-ci accepté. Tant mieux, car des dialogues féconds, parfois frappants, naissent de ces rapprochements, entre association d’idées et analogie visuelle, autour des thèmes de l’hybridation, de l’onirisme et de l’alchimie. Ainsi de cette Libellule (1934) de Max Ernst en plume et métal, ou de ce moulage en plâtre de Princesse X, de Brancusi, mis en regard des jeux de piston suggestifs de Refuge d’amour, rêve du coquillage (2009). Ou encore de cette Main prise (1932) de Giacometti exprimant à la fois un mouvement entravé et la possibilité d’accéder par le mécanisme qu’il actionne à l’univers magique du 7e art. Celui-ci est justement au cœur d’un parcours qui offre de découvrir l’importance de la pratique cinématographique dans la production de l’artiste. Dans trois longs-métrages inédits, Horn met en scène, aux côtés de ses sculptures mécanisées, ses acteurs de prédilection (Géraldine Chaplin, Donald Sutherland, David Warrilow). Dans Buster’s Bedroom (1990), elle rend hommage à la star du burlesque américain, avec laquelle elle partage un goût forcené de la liberté. La preuve : ce huis clos absurde fait référence à l’épisode d’internement de l’acteur qui eut pour parrain l’illusionniste Harry Houdini, passé maître dans l’art de s’évader. Contraint à une cure de désintoxication dans une clinique psychiatrique, Buster Keaton serait parvenu à s’affranchir de sa camisole de force et à prendre la fuite. Une expérience de l’échappatoire, sous le signe de l’humour et de la mélancolie, qui résonne dans le temps avec la quête de l’artiste allemande.
Les fantasmagories de Rebecca
Bâle. « Fantasmagorie », ou « art de faire voir des fantômes » selon l’étymologie. Ceux qui surgissent de l’imaginaire de Rebecca Horn forment un spectacle troublant. Si sa production est parfois rapprochée du cinétisme, le mouvement chez cette artiste exposée au Musée Tinguely n’est jamais un simple jeu abstrait de formes et de couleurs. Il s’agit plutôt de grouillements, pullulements, glissements progressifs, toujours du côté de l’organique. Dans ces mécanismes étranges inventés par l’artiste, le corps n’est jamais absent. Les prothèses, excroissances ou membres synthétiques de ces corps « augmentés » offrent autant de possibilités que de contraintes. Ainsi, Horn se transforme en femme-oiseau se déplaçant avec difficulté ou en paon faisant la roue (Pfauenmaschine, 1981). Ailleurs, c’est l’organisme et son fonctionnement cyclique qui est mis en scène. L’installation El Rio de la Luna (1992) est réalisée avec une tuyauterie en plomb qui, partant du poste de contrôle central, se déploie dans l’espace à l’image de veines. Le mercure qui circule dans ce dispositif, une matière liquide et solide à la fois, est pour Horn le symbole de l’équilibre fragile des rapports humains et avant tout de la réversibilité du désir. Surréalisme sans joliesse et sans concessions, body art qui pratique la métaphore ? Innervée par le désir souterrain, magnifique et inquiétante à la fois, l’œuvre de Horn illustre la phrase de Bataille :
Rebecca Horn, Fantasmagories corporelles,
jusqu’au 22 septembre, Musée Tinguely, Paul Sacher-Anlage, Bâle.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Le théâtre intime de Rebecca Horn