PARIS / SETE
Le Crac Occitanie offre à l’artiste et cinéaste Éric Baudelaire une importante monographie en France. Le lauréat du prix Marcel Duchamp 2019 est aussi exposé au Centre Pompidou.
Paris, Sète. Le 14 octobre Éric Baudelaire recevait le prix Marcel Duchamp 2019 pour son dispositif filmique Tu peux prendre ton temps. Trois semaines plus tard s’ouvrait au Centre régional d’art contemporain (Crac) Occitanie, à Sète, la première exposition d’ampleur en France consacrée à son travail. En novembre, on revoyait au salon Paris Photo, sur le stand de la galerie Juana de Aizpuru qui le représente à Madrid, le fameux diptyque photographique Dreadful Details, scène de guerre rejouée dans un décor d’Hollywood dont la présentation en 2006 à Visa pour l’image (Perpignan) suscita moult réactions. L’enchaînement de ces expositions ne doit pas faire oublier que l’artiste, à 47 ans, ne dispose toujours pas de galerie en France et qu’il ne reçut le soutien des institutions françaises qu’à partir de Dreadful Details. Depuis, la fresque photographique est devenue une pièce emblématique de l’histoire récente de la photographie et son auteur a trouvé dans la forme cinématographique le processus créatif approprié à ces projets aux consonances politiques. Ces films sont aujourd’hui diffusés dans les festivals et la projection d’un de ces longs-métrages dans un musée ou un centre d’art fait toujours l’objet d’une exposition conçue comme réceptacle de la pensée et de la démarche qui l’ont fabriqué.
« Je m’intéresse beaucoup à la question de savoir ce que veut dire montrer un film à l’intérieur d’un espace muséal et à ce qui peut dans son contenu faire exposition », dit-il. Au Centre Pompidou, le dispositif de la projection de son dernier long-métrage, Un film dramatique (2019), fruit de quatre années de tournage avec un groupe de 21 élèves du collège Dora-Maar à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), illustre ce propos. Si le film est au cœur de l’exposition « Tu peux prendre ton temps », un espace introductif donne à voir et à entendre d’autres sons et images réalisés par ces adolescents au collège, chez eux ou ailleurs.
Au Crac Occitanie, les vastes volumes du centre d’art offrent le cadre idéal où déplier au mieux sujet, forme et processus de chaque projet. Ceci dans un sens antéchronologique, depuis son travail en cours sur et avec le compositeur américain Alvin Curran jusqu’à L’Anabase…, long-métrage de 2011 issu d’un dialogue avec le cinéaste Masao Adachi, figure de la Nouvelle Vague nippone et ancien militant de l’Armée rouge japonaise.
Pas une création d’Éric Baudelaire qui ne soit en effet le résultat d’un long travail collaboratif et expérimental, ainsi que l’illustrent les deux premières salles du parcours dévolues à son projet en cours né de la rencontre avec l’historien de la musique Maxime Guitton à la Villa Médicis : elles réservent une grande place tant aux recherches engagées par ce dernier dans les archives du compositeur qu’à la manière d’Alvin Curran d’envisager la musique.
Il faut effectivement « prendre son temps » pour appréhender, au Crac, les rapports entre actualités et créations, images et événements, causes à défendre et terrorisme, revendication souverainiste et reconstitutions de frontières. La durée des films, variable de 60 à 114 minutes, et la densité des déclinaisons auxquels certains projets donnent lieu, demandent une certaine disponibilité aux visiteurs. L’entrée gratuite du Crac Occitanie permet toutefois au public local d’y revenir à loisir.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°535 du 13 décembre 2019, avec le titre suivant : Le temps Baudelaire