Une vaste exposition retrace, à travers les siècles, les marqueurs culturels et artistiques de l’art péruvien et dessine les contours d’une identité collective.
Montréal - « C’est l’histoire d’une identité vieille de plus de 3 000 ans, mais reconstituée depuis seulement un siècle » : ainsi Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal (Canada) explique-t-elle le propos de l’exposition « Pérou, royaumes du Soleil et de la Lune » présentée au musée canadien.
Depuis la découverte de la fameuse cité inca du Machu Picchu par l’archéologue Hiram Bingham en 1911 (ou au gré des versions, entre 1811 et 1902), les civilisations précolombiennes autrefois méconnues ont fait l’objet de multiples interprétations aujourd’hui encore révisées par des découvertes archéologiques : il reste encore fort à faire pour comprendre ces périodes anciennes caractérisées par une absence d’écriture. Surtout, depuis les années 1990, la théorie de la « pérouanité » s’est développée autour de l’idée d’« une nation de construction sociale dont l’identité collective, reposant à la fois sur l’héritage colonial et sur la présence indigène, est essentielle à l’unité nationale », selon Victor Pimentel, archéologue péruvien et commissaire de l’exposition. C’est là que réside le cœur de l’exposition : évoquer les permanences et les apports de chaque période de conquêtes à la construction mentale et culturelle d’une nation. Les quelque 370 œuvres sélectionnées, d’une qualité remarquable, dressent une chronologie vertigineuse de l’art au Pérou. La culture Mochica (100-800 ap. J.-C.) est sans doute la culture précolombienne la plus prolixe en matière de production artistique. Les œuvres témoignent ici d’une richesse iconographique et plastique incroyable. Les fameuses bouteilles à anses en étrier dessinent cosmogonie, rituels ou vie quotidienne avec un sens de l’image frappant, en décor peint ou sculpté. Ces sociétés précolombiennes ont développé une civilisation fondée sur une liturgie du sacrifice et du combat, longtemps incomprise et bien mise en lumière dans le parcours de l’exposition.
De l’or dans l’artisanat
L’extraordinaire qualité des orfèvres précolombiens éclate dans la salle dédiée aux trésors découverts dans les tombes royales de Sipan, fouillées à partir de 1987 par l’archéologue Walter Alva. Un ornement d’oreille représentant un guerrier, en or et turquoise, présenté aux côtés d’attributs de son rang, en or également, est représentatif de l’habilité des artisans au Pérou. À partir du XVIe siècle, les Espagnols ne s’y trompent pas, s’employant à utiliser ce savoir-faire indigène dans la production d’une argenterie tournée vers les motifs catholiques. Une urne eucharistique monumentale en forme de pélican, produite dans les ateliers de Lima au XVIIIe siècle, illustre le très haut degré de développement de l’orfèvrerie péruvienne. La conquête espagnole se traduit également par l’épanouissement d’une école d’art à Cuzco. Là aussi, les artistes locaux sont encadrés par des maîtres venus d’Espagne, d’Andalousie notamment, ce qui explique un art naturaliste florissant, allié à une Église coloniale soucieuse des attentes locales de ses fidèles. Des emblèmes de l’ancien pouvoir inca se mêlent aux symboles chrétiens dans les tableaux d’église. À la fin du XIXe, la naissance de la nation péruvienne devient un des grands enjeux des artistes dits « indigénistes ». À l’École nationale des beaux-arts du Pérou, Francisco Laso parvient à créer un art syncrétique et national, un flambeau repris par José Sabogal dans un style mêlant regard social et valorisation des coutumes péruviennes : El Recluta (La recrue, 1926, Lima), portrait dense et énigmatique d’un Amérindien, intrigue par la fierté et la force qu’il exprime. Alliée à une scénographie toute en subtilité, faite de stucs et de métal, la médiation a été soignée pour tous les publics, d’autant que le catalogue éclaire d’autres facettes de cette « pérouanité » si complexe.
Commissariat : Victor Pimentel, archéologue et conservateur de l’art précolombien du Musée des beaux-arts de Montréal
Nombre d’œuvres : environ 370
jusqu’au 16 juin, Musée des beaux-arts de Montréal, 1380 rue Sherbrooke Ouest, Montréal, Canada, tél. 00 (514) 285-2000, www.mbam.qc.ca, tlj sauf lundi, mardi 11h-17h, mercredi et jeudi 11h-21h, samedi et dimanche 10h-17h. Catalogue, coéd. Musée et 5 Continents Éditions, 384p., 55 €
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Le Pérou s’invite à Montréal
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Abonnez-vous dès 1 €Ornement d’oreille représentant un guerrier, Mochica, Côte nord, Sipán, 100–800, or, turquoise, bois, diam. : 9,2 cm, Museo Tumbas Reales de Sipán, Lambayeque. © Photo : JoaquÁn Rubio.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Le Pérou s’invite à Montréal