Une exposition hétéroclite de près de 500 œuvres et objets fait le catalogue des différents sens de cette notion, « de la chambre aux réseaux sociaux ».
Paris. Examiner la notion de vie privée à travers le prisme de son évolution depuis le XVIIIe siècle : l’idée du Musée des arts décoratifs est aussi passionnante que le sujet semble vaste. Car de quoi parle-t-on quand on évoque l’intime ? De ce que l’on partage, ou pas, avec les autres, de nos pudeurs et de nos intérieurs, de la manière dont ceux-ci sont aménagés, des dispositifs de surveillance qui quadrillent l’espace public, de nos données personnelles, de leur exploitation, des réseaux sociaux, des représentations narcissiques… ? Mais dans quelle mesure est-il possible dans une même exposition de mêler boudoirs et drones, images de migrants à la rue et sex-toys, tableaux de Bonnard et posts Instagram, sans perdre le fil et le visiteur en route ? Tandis que l’épais catalogue édité à l’occasion de cette exposition-dossier s’autorise des développements qu’illustre une riche iconographie, le parcours in situ doit souvent, faute de place, emprunter des raccourcis qui font figure d’impasses. Et autant on peut être intrigué par un intitulé de chapitre sur « les objets genrés de la pisse et de la merde » (en clin d’œil appuyé à Piero Manzoni ?), autant on se trouve peu enclin à comparer la sophistication des sièges sanitaires à travers le temps – dont sans surprise, la forme est trivialement restée la même (mais peut-être faut-il y voir une allusion subliminale à Marcel Duchamp).
L’exposition doit beaucoup à la scénographie de l’architecte Italo Rota (1953-2024), qui a imaginé en préambule un spectaculaire trou de serrure, monumental orifice bordé de rouge invitant au voyeurisme, et toile de fond propice aux selfies. On aurait aimé, en haut des marches, se glisser à travers cette ouverture prometteuse. Mais il faut la contourner pour pénétrer dans l’exposition dont le labyrinthe étroit commence sur une vision décorative de l’Intimité par Édouard Vuillard (1896) ; se poursuit, via une vidéo de l’INA (Institut national de l’audiovisuel), sur un rappel de la place des femmes – au foyer – avant leur émancipation ; passe par les commodités ; examine poudriers précieux et tabatières coquines, avant de s’attarder sur une série de godemichés en vitrine. Quelques parfums iconiques du XXe siècle, que l’on peut humer à travers une grille, créent une transition raffinée. Profitons-en pour noter les prêts importants concédés par plusieurs institutions, avant de passer au salon, conçu comme un vaste showroom présentant quelques pièces de design des années 1950 à nos jours. À ce stade, le visiteur peut éprouver le besoin de faire une pause : la scénographie a judicieusement prévu un lieu de repos en forme de cocon protecteur, dans une tentative, précise le cartel, de concilier les désirs « de promiscuité et d’isolement ». Il est vrai que l’exposition draine un public nombreux, et étonnamment jeune, témoignant de son succès viral.
Le parcours enchaîne ensuite sur la problématique de l’invasion des écrans mais aussi sur celle de la précarité des sans-abri. Le dernier mot est laissé aux fragments de conversation philosophique de l’artiste Thomas Hirschhorn, avec sa série « Eternal Ruins », pirouette finale d’un parcours dont la profusion désordonnée égare le visiteur.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : Le Musée des art décoratifs peine à cerner l’intime







