Brésil

Le Musée d’Art Moderne de Rio menacé… de hors sujet

Par David Robert (Correspondant à Rio de Janeiro) · lejournaldesarts.fr

Le 24 juin 2013 - 661 mots

RIO DE JANEIRO (BRESIL) [24.06.13] - Depuis une semaine, le Brésil est secoué par d’importantes manifestations. Entre vague d’espoir et crainte des débordements, le Musée d’art moderne ouvre sa dernière exposition. Malaise.

Parle-t-on de culture dans les manifestations qui secouent actuellement le Brésil ? Comment le monde artistique accueille-t-il ce bouillonnement ? Quel impact pour les institutions culturelles ? Ce cri d’alarme pour l’éducation doit-il s’étendre à la culture au sens large ? Ces questions semblaient, il y a une semaine, trop spécifiques ou prématurées. Le jour où un million de personnes ont protesté dans les rues, le Musée d’Art Moderne de Rio (MAM) a ouvert son exposition de l’hiver : « Le pop art des contestations ». Cette coïncidence était l’occasion rêvée d’aller prendre la température du monde culturel et de tester le rapport au présent d’un grand musée dans sa société.

En quittant l’avenue du Président Vargas vers 19h, pour remonter sur l’avenue Rio Branco qui mène au MAM, aucun débordement violent n’est encore à signaler. Passé l’opéra, il faut traverser l’immense artère qui longe la mer à l’aide d’une passerelle moderniste courbe, emblématique des années 1950 brésiliennes. Dans le noir et la tiédeur de l’hiver carioca se dessinent les pilotis du musée conçu par Affonso Eduardo Reidy à partir de 1952. Le mariage du béton et du verre a du charme même si d’un point de vue pratique aucune signalétique n’indique le contenu du musée sur sa structure.

Les portes sont ouvertes, le hall est désert et silencieux. Une hôtesse montre l’étage d’un signe de tête. On monte sur la pointe des pieds sans déranger les toiles bleues de Lena Bergstein du rez-de-chaussée. Puis il faut traverser la petite monographie de Beth Jobim qui rappelle le Buren du Palais Royal, le décor en moins. Et l’on arrive dans l’immense salle dédiée au « Pop Art de la contestation » en Amérique du sud. Une trentaine de personnes foule le béton ciré.

Après les célèbres clichés des manifestations réprimées sous la dictature brésilienne par Evandro Teixeira (voir photo ci-dessus), on retrouve avec plaisir les œuvres drôles et percutantes de Cildo Meireles, qui légitime une sélection « tropicaliste » (du nom du mouvement contestataire brésilien des années 1970) restreinte.

Le reste de l’exposition est sans surprise, jusqu’au choc, au bout du second espace. Dans une perspective magnifiquement dénudée trônent, pathétiques, les gigantesques lettres rouges de Rubens Gerchman qui forment le mot « Lutte ». Le travail de l’artiste, stricto sensu, n’est pas en cause. Mais sa contextualisation, peut-être imaginée provocatrice, semble tout à coup hors de propos, ridicule. Ne manque que la toile d’araignée dans le creux du U.

On longe l’œuvre pour accéder au cocktail à l’extérieur, où l’électro d’ambiance ne couvre pas tout à fait le bruit des engins lacrymogènes tirés à quelques encablures. En attendant le président du musée et l’omniprésent curateur Paulo Herkenhoff, une responsable de la communication du musée accueille les journalistes. On voudrait qu’elle commente ce parallèle, cette ironie de l’histoire et de la programmation. Haussement d’épaules dans un sourire. Ne faut-il pas profiter de la situation pour inscrire le musée en lieu vivant, de représentation du réel, de réflexion sur la société ? Ce n’est visiblement pas dans la culture politique du lieu. Dommage, dans une ville où la fréquentation des musées est l’apanage d’une élite et où le peuple crie depuis une semaine sa soif d’éducation. Les officiels n’ont pas pu venir mais leur ombre est là.

Le « musée » prend le pas sur « l’art ». Pas une performance, pas un discours pour redonner aux œuvres leur souffle originel, quand de l’autre côté de l’avenue on défile sous l‘œil de la police militaire. Dommage, le Cildo Meireles de demain doit certainement twitter devant la préfecture.

AMERICA DO SUL, A POP ARTE DAS CONTRADIÇÕES

Du 21 juin au 14 août,

Musée d’Art Moderne de Rio, Avenue Infante Dom Henrique 85

Du mardi au dimanche de 12h à 18h (sam. dim. 19h).

Légende photo

Manifestations réprimées sous la dictature brésilienne - © Photo Evandro Teixeira

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