PARIS
L’artiste allemand se veut autant l’architecte de ses œuvres que de leur scénographie comme le montre le Jeu de paume.
Paris. La dernière rétrospective en France consacrée à Thomas Demand (né en 1964) remonte à 2000-2001, à la Fondation Cartier. L’artiste allemand avait alors sélectionné une quinzaine de photographies réalisées entre 1994 et 2000, ainsi que deux vidéos présentées dans une scénographie signée par l’agence d’architecture londonienne Caruso St John. Depuis l’artiste assure lui-même la scénographie de ses expositions, comme pour cette première rétrospective d’envergure que lui consacre actuellement le Jeu de paume.
Dès ses débuts, Thomas Demand réalise ses images en recourant à des « modèles », maquettes de papier et de carton colorés qu’il construit dans son atelier à l’échelle 1, à partir d’images publiées en général dans les médias, avant de les photographier, puis de les détruire. Rien de plus normal pour un artiste qui aime collaborer avec des architectes comme le rappellent, dans l’exposition, les trois photographies de vues fragmentées de maquettes de travail en calque de l’agence SANAA, issues de la série « Model Studies ». Thomas Demand s’est par ailleurs associé l’an dernier à Caruso St John Architects pour réaliser, au Danemark, le siège de la marque textile Kvadrat en cours de construction.
Depuis quelques années, l’architecture est devenue centrale dans le travail de l’artiste. On le perçoit dans le parcours qu’il signe au Jeu de paume. Certes, on y retrouve ses photographies qui bousculent nos perceptions de l’image par les récits qu’elles portent et la capacité fictionnelle qu’elles génèrent ; ces récits aient trait à l’histoire de l’Allemagne ou à des événements plus récents, tel l’accident nucléaire de Fukushima. Les quarante photographies sélectionnées mélangent des clichés déjà connus réalisés depuis 1995 et des créations récentes, telle que la série « Refuge », de 2021 : la reconstitution de la chambre occupée par le lanceur d’alerte d’Edward Snowden avant son installation en Russie. La manière dont Thomas Demand les déploie et les met résonance dans les espaces du centre d’art est remarquable.
Salles entièrement recouvertes de papier peint reprenant un élément d’une photographie ou salles aux murs blancs comme ceux de son atelier : Thomas Demand place, d’une pièce à une autre, le visiteur dans son univers, dans l’atelier où il fabrique ses maquettes et dans les récits portés par les images que chacune d’elles engendre. Les ambiances diffèrent et utilisent judicieusement les ouvertures du bâtiment sur l’extérieur, ses perspectives sur le jardin des Tuileries et la lumière naturelle.
Pour la projection de la vidéo Pacific Sun, un montage d’images de la caméra de surveillance du bar d’un navire de croisière pris dans une tempête, Thomas Demand a conçu spécialement un monumental silo peint en orange vif, installé dans une salle du Jeu de paume. Une pièce dans une pièce, comme l’inscription dans l’espace du redoublement perpétuel effectué par l’artiste d’une création qui ne cesse de mettre à portée de main et de regard les répliques des secousses de notre monde.
jusqu’au 28 mai, Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75001 Paris.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°606 du 3 mars 2023, avec le titre suivant : Le monde fabriqué de Thomas Demand