LILLE
Longtemps éreinté par la critique, le « beau métier » de Louis Boilly, contemporain de David, est réhabilité à Lille.
LILLE - Dans son célèbre autoportrait ébahi, dessiné à la pierre noire (collection particulière), Boilly pourrait sembler se moquer de ce public qui fait mine aujourd’hui de redécouvrir son travail. Car les relations du peintre avec la critique n’ont jamais été simples. Bon peintre, Louis Boilly (1761-1845) l’était assurément. Il n’est qu’à observer sa capacité à décrire les physionomies, sa science des détails, son sens de la narration, le tout dans une facture ô combien léchée.Mais, talentueux, Boilly l’était peut-être trop, sa virtuosité ayant été à l’origine d’une production plus que prolifique qui se compte en milliers tableaux, dont de très nombreux portraits de commande. De quoi, après l’indéniable succès populaire – la foule se pressait au Salon devant ses toiles – et commercial, être vite voué aux gémonies par une critique d’art qui a toujours préféré les génies torturés, voire laborieux, aux virtuoses hyperactifs confortés par leurs ventes. Présent malgré tout dans les grands musées internationaux, Boilly n’était plus guère montré, relégué au rang des petits maîtres que les conservateurs ne savent guère où accrocher.
Se saisissant d’un anniversaire, les 250 ans de la naissance de cet enfant du pays – né à La Bassée, dans la campagne nordiste –, le Palais des beaux-arts de Lille a fait le pari de le remettre à l’honneur en réunissant un grand nombre de tableaux dispersés de longue date. Avec succès. Le parcours très sagement chronologique de cette grande exposition met en avant toute la singularité de ce contemporain de David, naviguant entre sa culture septentrionale et ses accointances avec le néoclassicisme de son temps. D’emblée, un mur consacré à ces petits portraits au cadrage très serré, peints « en deux heures de temps », comme l’indiquait lui-même l’artiste dans le livret du Salon de 1800, évacue le sujet de cette peinture de commande qui a longtemps nui à sa réputation.
Chronique mi-sociale, mi-mondaine
Que le peintre, qu’Alain Tapié, le directeur du Palais des beaux-arts de Lille, qualifie de « Talleyrand de la peinture », ait su s’adapter à la demande de son temps est indubitable. Avant la Révolution, il livre des scènes frivoles à la facture porcelainée dans l’esprit d’un Fragonard (L’Indiscret, vers 1790-1795, Paris, Musée Cognacq-Jay). Son grand Triomphe de Marat (1794, Lille, Palais des beaux-arts) illustre ensuite son vœu de donner une connotation plus politique à son art. Sous le Consulat et l’Empire, ses scènes de genre, privilégiant l’espace de l’atelier où les scènes de rue, confirmeront son succès. Non sans une certaine ambition, comme lorsque Boilly peint un grand portrait de groupe réunissant les 31 artistes de sa génération dans l’atelier du peintre Isabey (Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey, 1798, Paris, Musée du Louvre). Cette chronique mi-sociale, mi-mondaine, précédée d’un nombre important d’études, fera se bousculer le public au Salon.
Ainsi réunis, les tableaux de Boilly illustrent logiquement la qualité mais aussi l’intérêt de son travail. Peintre du Nord assurément, comme en témoigne son sens du détail voire sa verve, maniant aussi bien le miniaturisme que la caricature et le trompe-l’œil, cet autodidacte sait conférer une dimension spécifique à ses scènes. Au-delà de la chronique de son temps – souvent sans concession comme l’illustrent ces scènes de prostitution, avec femmes et enfants, au Palais-Royal, qui firent scandale –, ses effets de foule, quoique souvent traités en frise, sont maîtrisés, sa charge érotique souvent peu contenue, comme en témoigne la troublante scène de billard (Un jeu de billard, 1807, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage). Mort à 83 ans et auréolé de son succès auprès des collectionneurs de son époque, Boilly a pris le temps d’installer son art en bonne place dans l’histoire de la peinture de genre, pour le plus grand plaisir des amateurs de « beau métier ». Dans la droite ligne d’un Greuze. Le culot et la fantaisie en plus.
Commissariat : Annie Scottez-De Wambrechies, conservatrice en chef, et Florence Raymond, attachée de conservation au Palais des beaux-arts de Lille
Nombre d’œuvres : 190
Scénographie : Thierry Germe, architecte
Jusqu’au 6 février 2012, Palais des beaux-arts, place de la République, 59000 Lille, tél. 03 20 06 78 00, www.pba-lille.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, lundi 14h-18h. Catalogue, éd. Nicolas Chaudun, 288 p., 39 €
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Le grand genre de Boilly
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Le grand genre de Boilly