PARIS
La photographe chilienne pose son objectif à hauteur d’homme – et de femme –, en toute humilité.
Paris. Lors du coup d’État du général Pinochet au Chili, en 1973, Paz Errázuriz a 29 ans. Sa maison fait l’objet peu après d’une perquisition et elle est licenciée de son poste d’institutrice en raison de son engagement syndicaliste. La photographie qu’elle pratiquait auparavant pour arrondir ses fins de mois – des portraits de ses élèves et de leurs familles – devient dès lors centrale dans sa vie. Cinquante ans plus tard, elle est l’une des plus photographes les plus connues d’Amérique du Sud.
La monographie que signe Béatrice Andrieux à la Maison de l’Amérique latine n’est pas la première en France. En 2017, les Rencontres d’Arles, avec le Jeu de paume et la Fundación MAPFRE, avaient déjà organisé une rétrospective. Mais l’exposition actuelle réunit quelques-unes des grandes séries en noir et blanc de la photographe chilienne et trois séries jamais montrées en France qui donnent à voir plus largement son travail. On y retrouve la série « El circo », consacré aux petits cirques installés en périphérie des villes au Chili, et une de ses séries les plus connues : « La manzana de Adán » réalisée entre 1982 et 1987 sur un groupe de travestis prostitués qui subissait une répression très dure. « Los Dormidos » sur des démunis dormant dans les rues de Santiago ou encore ses portraits de boxeurs ou des Kawésquars, ethnie vivant en Patagonie, montrent le visage multiple de la société chilienne. Le portrait en noir et blanc domine dans une esthétique sobre.
Ses photographies sont « une métaphore d’une nation fracturée », pour reprendre le titre du livre que lui a consacré Carmen Hernandez, en 2001. Elles expriment, au-delà de l’empathie de la photographe avec son sujet, son éthique et son respect de ceux qu’elle photographie. « Sepur Zarco », pour la première fois montré en France, témoigne frontalement et documente la situation. Du nom d’une région du Guatemala, ces portraits de 2016 des quinze femmes qui sont sorties de leur silence pour témoigner des violences sexuelles que leur ont infligé les soldats de la junte militaire durant le conflit armé qui les a opposés, entre 1960 et 1996, aux groupes de guérillas. C’était la première fois que Paz Errázuriz photographiait des personnes vivant hors de son pays et que ces « abuelas » (« grands-mères ») comme on les a appelées, « acceptaient de révéler leur visage qu’elles avaient couvert durant le procès par peur des représailles », souligne la photographe. Leurs regards expriment leur combat. Et le choix de Paz Errázuriz de les photographier en pied montre le respect qu’elle éprouve devant leur courage. « Ces femmes sont pour moi comme des statues commémoratives et la couleur m’aurait détournée de la force qu’elles dégageaient », précise-t-elle dans le catalogue.
Le parcours montre deux autres séries inédites : « Nuble » et « Proceres ». La première sur une prison de femmes au centre du Chili compte parmi ses rares travaux en couleur ; la deuxième en noir et blanc, datant des années 1980, porte sur des fragments d’anciens monuments militaires découverts dans une fonderie, comme une métaphore d’une autorité disloquée, mais aussi de cette période de dictature et de répression où il était impératif de s’exprimer de manière allusive.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°618 du 6 octobre 2023, avec le titre suivant : Le Chili bouleversant de Paz Errázuriz