Photographie

L’autre visage de Nan Goldin

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 20 juin 2018 - 598 mots

Loin des représentations de sa tribu, la photographe livre une intimité tournée vers la nature déployée tel un voyage introspectif.

Condette. Nan Goldin est associée à tout jamais à The Ballad of sexual dependency, journal intime de sa propre vie et de son entourage. Depuis sa réinstallation à New York à la suite de l’élection de Barack Obama et ses séjours à Berlin, elle s’est faite rare en France. Les invitations successives des Rencontres d’Arles, du Louvre et du Festival d’automne datent de 2011. C’est justement à la faveur d’une autre exposition durant cette année-là, au Lab-Labanque à Béthune, que la photographe américaine rencontre Marie-Francoise Bouttemy, aujourd’hui chef de la conservation et valorisation de l’étonnant château d’Hardelot, Centre culturel de l’Entente cordiale situé à Condette (Pas-de-Calais). L’évocation par Nan Goldin de ses photographies de paysage suscite la curiosité de la conservatrice. Sept ans plus tard, la photographe répond à l’invitation de Marie Françoise Bouttemy et dévoile un ensemble de trente photographies inédites de paysages couvrant la période 1979-2018.

C’est une première en France, après Dublin et Berlin en 2017, où Nan Goldin a choisi d’abord de révéler ce pan de travail inédit. On est très loin de la vie sulfureuse de la photographe américaine. La présence humaine est rare, et quand elle se profile elle apparaît seule, solitaire. La silhouette est floue, de profil, lointaine, absorbée par on ne sait quelle pensée. Aucun autoportrait dans ces images à la sélection resserrée, mais que l’on sait fort nombreuses. On demeure néanmoins dans l’intime, dans le trouble et l’émotion. Si le motif diffère grandement par essence, les sentiments que ces images expriment collent à ce que la photographe ressent, vit intensément dans l’instant.

Paysages et ciels sont souvent pris en photo en marchant, à travers la vitre d’un train ou d’une voiture, voire d’un hublot d’avion comme la plus récente titrée Fata Morgana (2018). Le crépusculaire domine. Le plein soleil n’existe pas chez Nan Goldin, ni le lâcher-prise. Le choix des photos lui incombe comme la scénographie, très classique dans son alignement de tirages presque trop sage. Les légendes sont brèves, l’histoire de chaque photo lui appartient. Elles convoquent des déplacements, des lieux, des lumières, des moutons promis à l’abattoir, parfois aussi des prénoms comme celui de Vivienne marchant sur la plage à Donegal, en Irlande, en 1979. Vivienne pour Vivienne Dick, la cinéaste avec laquelle Nan Goldin entretient toujours une grande amitié.

Comme d’habitude Nan Goldin ne se dérobe pas dans ses images. Mais contrairement à The Ballad of sexual dependency, elle suggère. Pleine lune sur Bois de Vincennes en 2004, Guido dans une forêt, Tulles un an plus tard, Crépuscule aux arènes d’Arles en 1997, Maison abandonnée en Bourgogne, Nénuphars à Giverny ou Cimetière du Père Lachaiseévoquent le temps où elle vivait une partie en France. L’Allemagne, l’Irlande ou l’Angleterre dessinent d’autres terres affectives. On aimerait en savoir plus. Aucune photographie de The Ballad of sexual dependency ne vient s’immiscer. On y pense pourtant comme on songe à son attachement à la peinture, notamment à Camille Corot ici invoqué par un paysage issu des collections du Musée de Boulogne-sur-Mer mis en regard avec une toile de même dimension, réalisée en 2017 par Nan Goldin, d’une femme nue allongée sur l’herbe, le visage recouvert par ses cheveux, avec en arrière-plan une rangée d’arbres défeuillés. Cette peinture tient du conte comme certaines de ses photographies de paysages. Reste à Nan Goldin de développer un peu plus son propos.

Nan Goldin, Fata Morgana,
jusqu’au 11 novembre 2018, château d’Hardelot, Centre culturel de l’Entente cordiale, 1, rue de la Source, 62360 Condette.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°504 du 22 juin 2018, avec le titre suivant : L’autre visage de Nan Goldin

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