Suisse - Art contemporain

Lausanne en mode résistance

Le Musée cantonal des beaux-arts explore la notion de « résistance » quasi essentiellement à travers des œuvres d’art contemporain.

Lausanne. Intitulé Wut (littéralement « colère » en français), le coup de poing dessiné par l’artiste suisse Miriam Cahn ouvre magistralement l’exposition conçue par le directeur du Musée cantonal des beaux-arts (MCBA) de Lausanne, Bernard Fibicher – la dernière qu’il conçoit pour le musée puisqu’il partira à la retraite en juin. Dans la suite du parcours sont exposés pas moins de neuf tableaux et dessins de l’artiste suisse partie en résistance contre le Kunsthaus de Zürich concernant sa présentation de la controversée collection Emil Bührle. La représentation de la violence sociale sur l’être humain est un leitmotiv de « cette peinture spontanée, rageuse, apparemment maladroite, souvent cynique », comme l’écrit justement Bernard Fibicher à propos de Cahn. Au cœur de ce parcours qui tente de cerner les formes artistiques de la contestation, les toiles aux coloris éclatants de cette vieille dame suisse de l’art contemporain ont toute leur place.

Tout comme, jouxtant les dessins de Cahn, les gravures de Félix Vallotton, dont le musée abrite la fondation consacrée à l’artiste. Avec sa série « C’est la guerre », Vallotton témoignait de l’absurdité de la Première Guerre mondiale – entrait-il pour autant en résistance contre elle ? On sent toute l’ambivalence de la position de l’artiste, entre abjection et fascination, dans sa représentation efficace et minimaliste du chaos du champ de bataille, deux ans avant qu’il ne participe, en 1917, à la « mission artistique aux armées ». Ce sera la seule œuvre « historique » de l’exposition, composée entièrement d’œuvres d’art contemporain – un parti pris qui nous paraît affaiblir la démonstration car le commissaire d’exposition l’écrit lui-même : « La résistance est fondamentalement constitutive de l’art. »

Un regard mondialisé

Si l’histoire de l’art a été écartée du propos de l’exposition, il n’en est pas de même pour la diversité géographique, largement représentée dans le parcours : en provenance de Corée du Sud, du continent africain ou d’Inde, des installations, séries photographiques ou vidéos apportent un regard mondialisé sur la notion de « résistance ». Les œuvres prennent parfois une tournure tout à fait concrète (et un peu macabre) comme dans les tissus brodés de motifs traditionnels de l’artiste mexicaine Teresa Margolles, tissus imprégnés du sang de femmes assassinées en Amérique du Sud.

Plus loin, deux œuvres actuelles incarnent cette notion de résistance de manière plus lyrique : les Notes Towards a Model Opera du Sud-Africain William Kentridge offrent une réinterprétation vidéo de l’« opéra modèle », un genre inventé en Chine durant la Révolution culturelle. L’artiste revisite de manière volontairement ludique et ironique cet art de propagande avec des références à l’histoire sud-africaine ou française (l’épisode de la Commune). La bibliothèque de pierres lithographiées de l’artiste turc Banu Cennetoglu contient, quant à elle, les textes du journal intime de la journaliste et combattante kurde disparue en 1997 Gurbetelli Ersöz : une œuvre forte, massive et symbolique.

On conviendra que le champ d’exploration de cette exposition collective colle parfaitement à notre actualité où l’écho des mouvements de résistance (des « gilets jaunes » aux mouvements de lutte contre le changement climatique) se fait toujours plus présent. Un seul regret : que la mise en images de cette réflexion (dont les aspects philosophiques sont développés dans l’ouvrage – et non un catalogue – qui accompagne l’exposition) ait cédé aux modes les plus explicites de la résistance exprimés par des œuvres d’art contemporaines. Et oublié en chemin d’explorer les multiples voies plus subtiles que cette « résistance artistique » pourrait prendre, de l’humour au silence en passant par la résilience.

Résister, encore,
jusqu’au 15 mai, Musée cantonal des beaux-arts, place de la Gare, 16, Lausanne.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Lausanne en mode résistance

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque