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DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS

L’argent fait le bonheur de l’art

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2023 - 658 mots

PARIS

La Monnaie de Paris livre un panorama de la représentation de l’argent dans l’art depuis l’Antiquité.

Paris. Difficile d’imaginer une meilleure localisation que la Monnaie de Paris pour une exposition – très complète – intitulée « L’argent dans l’art ». Organisée par Jean-Michel Bouhours, ancien conservateur en chef au Centre Pompidou, elle propose un parcours chrono-thématique qui explore les rapports étroits mais discrets, voire occultés, qu’entretiennent l’art et l’argent. De fait, elle prend le contre-pied de la conception idéaliste, selon laquelle les transactions mercantiles demeurent étrangement absentes des récits narrés par les artistes et les historiens de l’art. En 1985, le livre de Michael Baxandall, L’Œil du Quattrocento, révèle pour la première fois cette partie cachée de l’iceberg en décrivant les contrats précis des commandes, qui montraient la variation des prix selon la notoriété des artistes ou la qualité des matériaux employés. À la différence de la stabilité du marché artistique à cette époque, les œuvres, entrées avec l’avènement du capitalisme à la bourse des valeurs – esthétiques ? – n’échappent plus désormais aux secousses de l’économie ou aux effets de mode. La première « image » que l’on voit est un écran où défilent les chiffres des cotes boursières. On s’étonne de ne pas trouver ici une allusion à la maison de vente aux enchères, consacrée à la rencontre directe entre l’art et l’argent.

Un parcours d’or et d’argent

Le visiteur découvre que c’est avec l’or, transformé en bijoux par les Mésopotamiens ou les Égyptiens, que l’œuvre d’art devient un symbole de richesse. L’importance de ce métal précieux se reflète dans les récits mythologiques et religieux – le Veau d’or adoré par les Hébreux pendant l’Exode ou la pluie d’or, métamorphose choisie par Zeus pour s’unir à Danaé.

Avec la section « Morale et métiers d’argent », on constate que l’argent a aussi trouvé sa place dans les œuvres, avant tout dans les images flamandes figurant les changeurs ou les collecteurs d’impôts (Marinus van Reymerswaele, LeCollecteur d’impôts, XVIe siècle). Dans ce cas, les pièces de monnaie ne sont pas le véritable sujet, mais l’attribut qui nous renseigne sur les fonctions des personnages représentés.

C’est au XXe siècle que l’argent, sous diverses formes, devient le sujet de l’œuvre et parfois se transforme en œuvre. Ainsi, Marcel Duchamp propose de payer son dentiste – par ailleurs un collectionneur – avec un chèque réalisé entièrement à la main, validé par un coup de tampon (Tzanck Check, 1919). Cependant, ce sont surtout les années 1960 qui inaugurent une attitude décomplexée face aux enjeux économiques de l’art. Curieusement, c’est Yves Klein, associé à une production plastique de spiritualité extrême, qui met en scène des « zones de sensibilité picturale immatérielle », payées symboliquement par quelques grammes d’or. Mais, indiscutablement, c’est Andy Warhol qui est le premier artiste à lier intimement, voire à confondre, le travail artistique et l’argent. En déclarant « gagner de l’argent est un art, et les affaires bien conduites sont le plus grand des arts » (Philosophie de A à B et vice versa, 1975), Warhol rompt avec la vision qui considère les stratégies économiques dans le champ artistique comme une maladie honteuse par notamment l’immense signe du dollar, occupant toute la surface de la toile qu’il réalise en 1981 (Dollar Sign). L’exemple de Warhol est décliné dans de nombreuses variations par les artistes pour lesquels l’utilisation de l’argent dans leurs travaux – cartes bancaires, opérations boursières, billets utilisés à contre-emploi – est devenue monnaie courante.

À la Monnaie de Paris sont présentés en vrac, le célèbre Baiser de l’artiste d’Orlan (1977), l’affirmation explicite de Barbara Kruger – I shop therefore I am[j’achète donc je suis]– de 1990, la spectaculaire sculpture-accumulation d’Arman, Vénus aux dollars (1977, voir ill.), ou encore The Business Behind Art Knows the Art of the Koch Brothers de Hans Haacke (2014). Une critique de la spéculation ? Sans doute. Mais également un rappel au public – et aux institutions – que ce prétendu dernier espace de liberté n’échappe pas à des contraintes nettement plus prosaïques.

L’argent dans l’art,
jusqu’au 24 septembre, Monnaie de Paris, 11, quai de Conti, 75006 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°612 du 26 mai 2023, avec le titre suivant : L’argent fait le bonheur de l’art

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