États-Unis - Photographie

Whitney Museum

L’ambiguïté de Richard Avedon

Icônes populaires et logique commerciale

Par Jane Mulvagh · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 669 mots

Sous le titre, Évidence 1944-1994, une importante rétrospective est consacrée à New York à Richard Avedon. Avec 150 photographies, le Whitney Museum of American Art retrace cinquante années de la carrière d’un incontournable dans l’histoire récente de la photographie.

NEW YORK - Connu pour ses photographies de mode, ses portraits sans complaisance de personnages célèbres et, plus récemment, pour ses visages burinés de travailleurs manuels du Grand Ouest américain, Avedon a, au fil des ans, déplacé son objectif, tout en gardant pour vitrine ces grands magazines que sont Harper’s Bazaar ou le New Yorker.

Certains de ses portraits sont devenus des icônes de la culture populaire. Qui oublierait le ventre balafré d’Andy Warhol (1968), le grain satiné de Dovima contre la peau rugueuse de deux éléphants (1955) ou le cou étonnamment long de Marella Agnelli (1953) ? Comme chez les Anciens, pour qui la beauté dénotait la bonté et qui choisissaient leurs rois en conséquence, les beaux mortels d’Avedon sont devenus de véritables dieux modernes.

Avedon croit au style. "Dieu nous juge-t-il sur les apparences ? Je crois bien que oui», écrit W. H. Auden. Avedon reste un adepte de cette philosophie, à une époque où les médias ne sont plus les serviteurs de l’homme mais en sont devenus les maîtres exigeants et cruels. Le regard que nous posons sur les portraits d’Avedon est d’autant plus pénétrant que les célébrités qu’il nous donne à voir sont arrachées à leur contexte et qu’elles mettent en relief, sur un fond blanc et vide, l’angoisse de la vie contemporaine.

De l’art avec de l’angoisse
En fabriquant ainsi de l’art avec de l’angoisse, Avedon est un peu au portrait photographique ce que Woody Allen est au cinéma. Et ce n’est pas un hasard si ces deux new-yorkais choisissent d’explorer dans leur œuvre les rues de cette ville démente. Le projet d’Avedon pose comme postulat que le néobrutalisme peut révéler le fonctionnement intérieur du sujet. Le photographe doit peut-être beaucoup à Francis Bacon ou à Lucian Freud, mais on ne retrouve pas chez lui cette compassion qui caractérise ces deux peintres.

Les portraits d’Avedon reposent sur l’exagération monumentale, le grossissement, le gros plan. Ils cherchent à révéler l’homme intérieur mais, plus prosaïquement aussi, ils relèvent d’une logique commerciale, celle qui exige une lecture immédiate de l’image : le panneau d’affichage devant lequel on passe en voiture, le magazine que l’on feuillette distraitement.

La culture, celle qui est faite pour être consommée tout de suite, ne s’embarrasse pas de subtilités. Pour atteindre son but, l’image doit créer un impact immédiat et donner l’impression d’avoir été réalisée rapidement. Pourtant, les photographies d’Avedon naissent d’une préparation minutieuse et d’une technique parfaite. Avedon, par exemple, fusionnera deux négatifs pour en faire un collage, et il ne fait pas secret de ces manipulations, reconnaissant que "dès que l’on prend un appareil photo, on commence à mentir".

Photographier un père mourant
Les photographes n’aiment guère qu’on retire à leur œuvre le statut d’art. Néanmoins, leur travail est tributaire du contexte commercial, et dévalué par les exigences auxquelles ils se soumettent : la photographie est recadrée pour pouvoir entrer dans le format de la page, manipulée pour y inclure un quelconque produit. Avedon a tenté de lutter contre cette forme de dégradation de l’art. Comme beaucoup de photographes, Avedon est un disciple d’Andy Warhol, qui a toujours refusé la distinction entre l’art et l’art populaire ou commercial.

Il n’est pas étonnant que la culture américaine en général, et les grandes métropoles comme New York ou Los Angeles, en particulier, capitales de la publicité, de l’édition et des arts graphiques, donnent à la photographie le statut d’art. Mais est-il justifié d’honorer du titre d’artiste cet immense artisan de l’image photographique ?

Qui se cache derrière l’appareil photo ? Un homme capable, avec sang-froid, de fixer sur la pellicule les derniers jours de son père mourant. Un œil de reporter et un cœur écartelé.

Whitney Museum of American Art, New York, 24 mars - 26 juin 1994. 15O photographies en noir et blanc.

Le catalogue Avedon

Il n’est pas prévu pour l’instant que cette rétrospective soit présentée en France. Les amateurs d’Avedon pourront se consoler avec le catalogue, Evidence, que publie Schirmer-Mosel (184 p, 650 ill. en couleurs ou duotone, 398 F). Les mêmes éditions ont publié l’étonnante biographie d’Avedon, An Autobiography, parue l’an dernier à l’occasion des 70 ans du photographe.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : L’ambiguïté de Richard Avedon

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