Pinacothèque

L’âge d’or hollandais

Cent ans de purs chefs-d’œuvre

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 23 septembre 2009 - 1645 mots

Fermé pour travaux de rénovation, le Rijksmuseum, équivalent du Louvre aux Pays-Bas, prête une partie de sa collection du XVIIe hollandais à la Pinacothèque de Paris. Cent trente pièces, dont un Vermeer et six Rembrandt, pour une exposition en « or ».

Comment un pays aussi petit, comptant à peine plus d’un million et demi d’habitants et dépourvu de richesses naturelles, a-t-il pu, au xviie siècle, période de crise générale, se hisser au rang de puissance économique dominante  ? », s’interroge Michael North dans son Histoire des Pays-Bas. Alors que toute l’Europe s’enfonçait dans les récessions, les guerres, la misère et l’austérité, la modeste République des Provinces-Unies, ancêtre des actuels Pays-Bas, allait connaître un développement économique et culturel extraordinaire. La libre pensée qui y régnait, la tolérance religieuse, mais aussi la réussite commerciale d’une forte puissance maritime permirent à la Hollande de vivre une période de prospérité et un épanouissement des lettres et des arts sans précédent. Étalée sur un siècle, entre 1584 et 1702, cette période est précisément appelée l’« âge d’or hollandais ». Le statut social n’étant pas lié à la naissance mais à la fortune personnelle, un nouveau type de mécènes vit le jour. Alors que, partout ailleurs en Europe, les grands aristocrates commandaient des œuvres, dans cette jeune République, des négociants aisés, enrichis par le commerce, achetaient de l’art pour orner leurs intérieurs, témoigner de leur réussite sociale ou alimenter le marché de l’art. Face à cette économie du libre-échange dans le domaine artistique, la production se diversifia, un très grand nombre d’œuvres circulaient et les artistes se spécialisèrent dans des domaines très précis. De nouveaux thèmes apparurent, comme la peinture de genre, une représentation très détaillée de scènes domestiques et quotidiennes typique de l’art hollandais du xviie siècle.

Portraits, natures mortes… : le renouvellement des genres
C’est à travers le regard que les artistes portèrent sur leur temps que Marc Restellini, directeur de la Pinacothèque, a choisi de présenter « L’Âge d’Or hollandais », une exposition réalisée en association avec le Rijksmuseum d’Amsterdam qui a prêté pour l’occasion cent trente pièces dont une soixantaine de tableaux, des dessins et aquarelles, des gravures et des objets de l’époque. Organisée par thèmes, elle permet d’appréhender les principales caractéristiques de cette peinture et de se plonger au cœur d’une culture familière qui nous est décrite avec un réalisme saisissant. La visite commence par une immersion au sein du monde des artistes d’alors, évoqué par quelques portraits de peintres (dont celui de Maria van Oosterwijk, l’une des rares femmes artistes) et par des vues intérieures de quelques ateliers. Dans L’Atelier du peintre (1670-1675), Adriaen van Ostade, héritier de Bruegel l’Ancien, énumère tous les détails de ce lieu sombre et humide tout en capturant la poésie de la scène. Développée dans les écoles du Nord, en Flandres et en Hollande, enclines à représenter un réel sans fard, la nature morte, qui devient un genre à part entière à cette époque, fait l’objet d’une section entière. Contrairement aux natures mortes espagnoles, où figuraient des objets religieux en référence au tout puissant catholicisme, les natures mortes hollandaises, inspirées par l’esprit protestant, renient les sujets religieux. Les vanités, catégorie particulière de natures mortes destinées à symboliser la brièveté et la fragilité de la vie, se multiplient. Très répandues, les représentations de crânes (Vanité, Crânes sur une table, Aelbert Jansz van der Schoor, 1660) illustraient la mort et montraient l’intérêt des Hollandais pour la science et la médecine. Plutôt que la portée symbolique, c’est l’aspect esthétique de la peinture qui prend une importance primordiale. Pour plus de mimétisme, les objets étaient la plupart du temps représentés à taille réelle. Nombreux, les tableaux de fleurs très colorées sur fond noir étaient une occasion pour le peintre de montrer son habileté. Spécialiste du genre, Willem Claesz Heda, absent de l’exposition, a inspiré de nombreux autres peintres, dont Jan Davidsz de Heem (Nature morte aux fleurs dans un vase, 1675-1680). Ses compositions de fleurs, où apparaissent une multitude de variétés, se caractérisent par une profusion de couleurs vives et la présence d’insectes qui symbolisent la renaissance ou bien la pourriture.

Villes et paysages : des instantanés de la Hollande au xviie siècle
Quelques objets d’orfèvrerie présents dans l’exposition témoignent du talent des artistes dans ce domaine. Principal orfèvre de la Hollande dans les années 1630, Johannes Lutma, dont le portrait fut réalisé par Rembrandt en 1656 (Portrait de l’orfèvre Johannes Lutma), réalisa des œuvres d’une beauté rare, ornant ses objets domestiques d’animaux ou de personnages. Répondant à la demande d’un public bourgeois qui aimait à voir représenter son environnement, la peinture hollandaise du xviie siècle comptait aussi de nombreuses vues de villes ou de paysages. Alors que l’Europe était principalement rurale, la Hollande se démarquait par la concentration croissante de la population dans les agglomérations urbaines. Les monuments, les plans de ville, les foires, les marchés d’Amsterdam, de Dordrecht ou encore de Haarlem devinrent des thèmes de prédilection pour de nombreux peintres dont Aelbert Cuyp (Vue de Dordrecht par l’est, 1640-1645), qui était considéré comme le Claude Lorrain hollandais. Le paysage, jusqu’alors utilisé principalement comme arrière-plan, devint à cette époque le sujet du tableau. Les plaines, les moulins (Un moulin à eau, Meindert Hobbema, 1666), les ciels, les rivières et points d’eau tenaient une place prépondérante dans les toiles. Au milieu des paysages typiquement hollandais, le visiteur sera peut-être surpris de découvrir des vues de Rome, une partie du Colisée, le Ponte Rotto ou encore le Ponte Molle. Fascinés par l’Italie, de nombreux peintres originaires d’Utrecht entreprirent des voyages à Rome et influencèrent les autres à leur retour, notamment en adoptant la luminosité des paysages italiens et la technique du clair-obscur portée à son apogée par le Caravage et magnifiquement exploitée par Rembrandt, qui ne se rendit pourtant jamais en Italie.

Portraits et scènes de genre, ébauches d’une société
Dédiée aux images religieuses, la section suivante est révélatrice d’une république très tolérante, où coexistaient plusieurs cultes. Lorsque le sujet religieux était évoqué, il était dépouillé de son voile idéalisé et mystique pour être représenté avec toute la vérité possible et sous les formes les plus palpables, conformément au principe du protestantisme. Alors que Nicolaes Maes et Cornelis Bega choisirent de représenter des femmes en prière de façon très réaliste, Frans Hals, l’un des plus grands peintres du siècle, connu pour ses portraits de citoyens aisés, peignit un ecclésiastique extrêmement humain, sans chercher à idéaliser le personnage. À la différence de ses compatriotes, Rembrandt, qui est mis à l’honneur dans l’exposition à travers six tableaux, refusa de se spécialiser et s’adonna aussi bien au portrait qu’aux scènes bibliques. Lorsqu’il représenta saint Pierre (Le Reniement de saint Pierre, 1660) ou saint Jean-Baptiste (La Décapitation de saint Jean-Baptiste, 1640), il le fit sans aucun formalisme, ne cherchant qu’à faire jaillir l’expression de ses personnages. Mettant à son profit la technique du clair-obscur, il traduisit toute l’intensité et la tension de la scène, le drame humain qui s’y déroule plus que la narration.Les peintres hollandais ont porté la peinture de genre à son plus haut niveau. En représentant avec la plus grande minutie des personnages anonymes réalisant des tâches domestiques et ordinaires au sein même de leur foyer, ils inventèrent l’effet du réel d’un art du quotidien. Bien que considérée comme un genre mineur au xixe siècle par son aspect descriptif plus que narratif, la peinture de genre fut portée à un point de perfection en Hollande par des artistes tels que Gerard ter Borch, Jan Steen ou encore Pieter de Hooch, qui s’illustrèrent soit dans la satire bourgeoise, soit dans la comédie de mœurs. Dans la dernière section de l’exposition, le visiteur entre ainsi dans l’intimité d’une pièce comme il pénètre dans l’intérieur d’une âme, pour découvrir avec un véritable plaisir une mère épouillant son enfant dans sa cuisine, une femme faisant sa toilette, des paysans en famille devant le feu, ou encore, en poussant une porte, une bourgeoise dans son salon, à qui sa servante remet une lettre d’amour. Sublime, ce dernier tableau (La Lettre d’amour, voir p. 76), où l’on perçoit jusqu’au regard amusé de la servante et au trouble de la maîtresse, est l’une des rares œuvres de Johannes Vermeer. Un des nombreux joyaux de l’exposition.

S’il ne devait en rester qu’un, ce serait… Rembrandt
Originaire de Leyde aux Pays-Bas, Rembrandt Harmenszoon van Rijn (1606-1669), désigné communément sous le nom de Rembrandt, est considéré comme l’un des plus grands peintres de l’art baroque européen.

Le voile levée sur l’âme humaine
À la différence de ses compatriotes, l’artiste pratiqua tous les genres de peinture, avec une prédilection pour les autoportraits, les portraits et les scènes bibliques. Maître de la lumière, il sut utiliser la technique du clair-obscur avec une habileté non égalée, attirant le regard par des jeux de contrastes appuyés. Les portraits et scènes bibliques (six au total) présentés dans l’exposition montrent à quel point l’artiste savait dévoiler la singularité de chaque personnage. Dans Le Reniement de saint Pierre (1660) ou le portrait d’un oriental (Un Oriental, 1635), il met en valeur l’émotion des personnages, avec compassion et humanité, sans chercher à traduire une quelconque richesse extérieure. Lorsqu’il peint son fils Titus en 1660, il le représente vêtu d’une tenue de moine catholique, alors qu’il est lui-même protestant.Dans ce chef-d’œuvre de l’exposition, Rembrandt utilise une palette exclusivement brune pour traduire l’atmosphère austère de la scène. Grâce à des teintes plus claires, il met en valeur le visage fatigué et la chaire terne de son fils qui est atteint de la tuberculose. Conscient de la fragilité de l’homme, ayant fui la peste et connu les ravages de la tuberculose, Rembrandt évoque dans la plupart de ses œuvres une mort toujours présente. Malgré ce réalisme cru et glacial, il parvient à montrer avec beaucoup de tendresse et de poésie la beauté de l’âme humaine et devient ainsi, avec trois siècles d’avance, le précurseur de la modernité.

Repères

1566
Crise iconoclaste : destruction par les protestants de nombreuses œuvres d’art catholiques.

1579
Traité d’Utrecht : naissance de la République des Provinces-Unies, ancêtre des actuels Pays-Bas.

Vers 1581
Frans Hals naît à Anvers.

1606
Naissance de Rembrandt à Leyde.

1627
Premières œuvres datées de Salomon van Ruysdael, oncle de Jacob van Ruysdael, premiers grands peintres de paysages et de marines avec Van Goyen.

1632
Naissance de Vermeer à Delft.

Vers 1633
Adriaen van Ostade se spécialise dans la peinture de genre.

1637
Vent de spéculation sur les bulbes de tulipes.

1666
Décès de Frans Hals à Haarlem.

1669
Rembrandt exécute son dernier autoportrait avant de s’éteindre à Amsterdam.

1675
Vermeer décède à Delft.


Autour de l'exposition
Informations pratiques. « L’Âge d’Or hollandais. De Rembrandt à Vermeer », du 7 octobre 2009 au au 7 février 2010. Pinacothèque de Paris. Tous les jours de 10 h 30 à 18 h, du 25 décembre 2009 au 1er janvier 2010 de 14 h à 18 h. Nocturne les premiers mercredis du mois jusqu’à 21 h. Tarifs : 10 et 8 €. www.pinacotheque.com
Le Journal du siècle d’or. À l’occasion de cette exposition, Le Journal des Arts édite un numéro spécial consacré à l’âge d’or hollandais. De la crise iconoclaste, en 1566, à la fin du XVIIe siècle, il raconte, année après année, l’histoire politique, religieuse, économique et culturelle de la Hollande à travers le prisme de la peinture et des arts décoratifs. Rembrandt, Hals et Vermeer y tiennent une place importante. En vente à la librairie de l’exposition ou sur www.artclair.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°617 du 1 octobre 2009, avec le titre suivant : L’âge d’or hollandais

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