ROME / ITALIE
La Villa célèbre « 350 ans de création » avec plus d’une centaine d’œuvres signées des artistes de l’Académie de France à Rome de 1666 à nos jours, soit trois expositions en une.
ROME - Les 350 ans de l’Académie de France à Rome ne sont pas un anniversaire comme les autres : l’événement célèbre certes les relations entre la France et l’Italie, mais il permet aussi de répondre à la récurrente question de l’utilité du séjour des pensionnaires [dont fait partie l’auteure de l’article] dans la Ville éternelle.
L’exposition présentée à la Villa Médicis balaie une période très longue de l’histoire de la création française en Italie, et réunit plutôt trois expositions en une. La première partie, consacrée aux missions fondamentales ou du moins à l’essence de l’Académie de France à Rome aux XVIIe et XVIIIe siècles, sonne plutôt juste. Le défi est relevé avec brio par Jérôme Delaplanche, chargé de mission pour l’histoire de l’art, qui est parvenu à proposer un parcours scandé par quatre grands thèmes (les copies, les leçons d’anatomie, le récit de l’histoire, l’expérience du dépaysement) apte à satisfaire les connaisseurs autant qu’un public plus large.
L’Académie de France à Rome est tout à la fois présentée comme un lieu de découvertes, d’expérimentations, de doutes – l’anecdote est connue, si Fragonard fut encouragé par le directeur d’alors, Natoire, à battre la campagne romaine, c’est parce qu’il connut une grande période d’incertitudes en découvrant les chefs-d’œuvre de Michel-Ange, Raphaël et Léonard, qui l’empêchaient de travailler. L’Académie était aussi, et c’est finement démontré, un lieu d’échanges entre pensionnaires – l’exemple de la mascarade de 1748 au cours de laquelle les artistes travaillèrent ensemble sur le thème de la « Caravane du sultan à La Mecque » est emblématique –, mais aussi entre pensionnaires et directeurs et entre pensionnaires et mécènes : le Portrait de Pierre-Jacques-Onésyme Bergeret par Vincent (Musée des beaux-arts et d’archéologie, Besançon) figure en bonne place.
Après les premières sections à la fois très denses et très claires, il devient moins facile pour le public de comprendre les contenus et les propos peu argumentés de la deuxième partie. Il est évidemment plus difficile de déceler une ligne claire pour définir le séjour romain des pensionnaires de la période révolutionnaire à la réforme d’André Malraux en 1968 (1). L’accrochage d’ailleurs « flotte » un peu, notamment le long de la rampe d’escalier. C’est toutefois l’occasion de révéler quelques-unes des œuvres peu connues des collections de l’Académie, telle l’esquisse pour Ugolin et ses fils de Carpeaux retrouvée récemment. Le parti pris du commissaire transparaît, alors que sa sélection pour la période précédente s’imposait presque d’elle-même. Le choix des œuvres peut être sujet à discussions, mais il est aussi très stimulant et apporte, par son originalité, un éclairage nouveau sur la première partie du XXe siècle de l’Académie, au moment où celle-ci était en porte-à-faux avec les avant-gardes parisiennes. Le Portrait de Mussolini par Yves Brayer (Musée de la guerre, Vincennes) sur lequel le « Duce » apposa lui-même son nom en 1934 est troublant. Mon atelier à Rome d’Alfred Jules Giess (La Piscine, Musée d’art et d’industrie, Roubaix), de 1932, est aussi un bel exemple des nombreuses représentations d’atelier de pensionnaire au XIXe siècle.
Une vidéo discutable
Jérôme Delaplanche a choisi de confier à une jeune vidéaste, Justine Emard, qui n’a pas été pensionnaire à l’Académie de France à Rome, la responsabilité de la dernière partie de l’exposition intitulée « Par où commencer ? ». En décembre 2015, un courriel a ainsi été adressé à tous les anciens pensionnaires indiquant que « pour s’épargner le choix douloureux de la sélection et faire, dans le même temps, œuvre de mémoire, nous souhaiterions créer une rétrospective par l’image ». Il leur était proposé de faire parvenir une image « illustrant le mieux » le projet réalisé durant le séjour romain. Au-delà de la qualité artistique du travail de la vidéaste, le refus de choisir pose problème. N’est-ce pas le rôle du commissaire ? Ce dernier s’en défend en expliquant : « Le choix que j’ai fait, c’est de proposer une coupe transversale de la créativité, un document unique du travail intellectuel et artistique des pensionnaires. » Il estime d’ailleurs que l’artiste « a eu deux coups de génie : bien montrer qu’une image et une œuvre d’art, ce n’est pas la même chose, et se servir de la Villa Médicis comme lieu où les choses se sont produites. » Ces 28 minutes d’images et de sons, accompagnées des commentaires un peu pompeux de la voix off, embrassent ainsi le travail de 300 historiens de l’art, plasticiens, écrivains ou musiciens pendant près de quatre décennies et demie.
L’exposition présentée à la Villa Médicis est donc une invitation à (re)découvrir certains pans de l’histoire de l’Académie. Le catalogue, très bon, permet d’approfondir certains points. L’historien de l’art Fabien Danesi, dans son essai « Savoir affronter les fantômes », dresse ainsi un panorama habile de la création contemporaine en interrogeant les liens des pensionnaires avec Rome et avec la Villa Médicis. Il y rappelle que « l’histoire de l’Académie de France à Rome depuis la réforme de 1968-1971 implique un point de vue de biais pour comprendre son évolution en dehors de la dichotomie tradition/modernité. Il s’agit de sortir des ornières du débat attendu autour de la réussite ou non de sa mutation et de remarquer qu’elle reste toujours une occasion donnée à ses pensionnaires de regarder en face la latence à partir de laquelle l’art se constitue ».
(1) concours et prix de Rome sont supprimés. L’Académie des beaux-arts et l’Institut de France perdent la tutelle de la Villa Médicis au profit du ministère de la Culture, NDLR.
Commissaire : Jérôme Delaplanche, chargé de mission pour l’histoire de l’art à l’Académie de France à Rome
Nombre d’œuvres : plus d’une centaine
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La Villa Médicis et tous ses pensionnaires
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Abonnez-vous dès 1 €Les artistes de l’Académie de France À Rome de Louis XIV à nos jours, jusqu’au 15 janvier 2017, Villa Médicis, Grandes Galeries, Viale Trinità dei Monti, Rome, tlj sauf lundi 10h-19h, www.vilamedici.it, entrée 12 €. Arte diffusera le 11 décembre un documentaire réalisé à l’occasion des 350 ans de l’institution, La Villa Médicis, pour l’amour des arts, réalisé par Laurence Thiriat.
Légende Photo :
Alfred-Jules Giess, Mon atelier à Rome, 1932, huile sur contreplaqué, La Piscine, musée d'Art et d'Industrie André Diligent, Roubaix, dépôt du Centre Pompidou
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°467 du 11 novembre 2016, avec le titre suivant : La Villa Médicis et tous ses pensionnaires