Art contemporain

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La rhapsodie en bleu et gris de Geneviève Asse

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 18 février 2025 - 750 mots

Le Musée Soulages a réuni 70 œuvres de la peintre de l’infinie variation du bleu dans l’espace et la lumière rapportée à la surface de la toile.

Vue de l'exposition « Geneviève Asse : le bleu prend tout ce qui passe » au Musée Soulages. © Thierry Estadieu © Adagp Paris 2025
Vue de l'exposition « Geneviève Asse : le bleu prend tout ce qui passe » au Musée Soulages.
© Thierry Estadieu
© Adagp Paris 2025

Rodez (Aveyron). À la différence d’autres musées consacrés à un artiste, où la programmation se concentre sur celui-ci, les expositions à Rodez prennent souvent une liberté vis-à-vis de Pierre Soulages. Le groupe Gutaï, Pierrette Bloch, Lucio Fontana ou Calder sont quelques-unes des monographies que l’on doit à Benoît Decron, directeur des lieux. L’avant-propos du catalogue s’emploie généralement à justifier le choix de l’artiste exposé(e). Pour Geneviève Asse (1923-2021), Alfred Pacquement, président du Musée Soulages, écrit : « Les deux peintres se connaissaient, se respectaient. Tous deux avaient commencé à exposer au lendemain de la guerre en affirmant leur indépendance vis-à-vis des mouvements artistiques qui dominaient l’époque. Imprégnés de leurs milieux respectifs (la mer et le ciel de Bretagne pour l’une, les plateaux des Causses et du Rouergue pour l’autre), ils avaient gardé la mémoire de ces espaces fondateurs dans leur approche de la peinture. »

Donner une forme picturale au silence

Mais cette exposition permet surtout de redécouvrir une œuvre trop souvent réduite à des abstractions peintes en bleu. Une nuance désaturée de cette couleur porte d’ailleurs son nom : le « bleu Asse ». Les présentations de son travail tendent souvent à en faire une production poétique. Il est vrai que l’artiste, qui a grandi dans le Morbihan face à la mer, contribue elle-même à cette perception, évoquant fréquemment l’importance du bleu, qui « prend tout ce qui passe », selon le titre de l’exposition.

Vue de l'exposition « Geneviève Asse : le bleu prend tout ce qui passe » au Musée Soulages. © Thierry Estadieu © Adagp Paris 2025
Vue de l'exposition « Geneviève Asse : le bleu prend tout ce qui passe » au Musée Soulages.
© Thierry Estadieu
© Adagp Paris 2025

Le parcours, non strictement chronologique, fait alterner les débuts figuratifs de Geneviève Asse avec ses œuvres abstraites. Dans un premier temps, l’artiste met en scène des objets du quotidien – bouteilles, encriers, boîtes – tantôt simplement posés sur le coin d’une table isolée, tantôt situés dans le cadre de l’atelier. L’ensemble est peint dans des nuances de gris et de beige, évoquant inévitablement Jean Siméon Chardin, mais encore plus Giorgio Morandi. Comme chez ce dernier, les objets, d’un dépouillement absolu, excluant tout détail superflu, ne sont pas de simples accessoires mais de véritables acteurs. Comme chez le peintre italien, ils semblent donner une forme picturale à ce qui ne peut l’être : le silence. Si, dans ses premières œuvres, les contours sont nettement affirmés, ceux-ci s’estompent progressivement jusqu’à ce que les objets se fondent dans l’espace. Ainsi, dans Tasse petite (1957), la silhouette de la tasse se confond presque avec son ombre.

Puis, deux toiles exposées côte à côte témoignent de l’évolution de l’artiste. Avec la première, Objet dans l’espace, un rectangle flottant conserve encore la trace d’un objet. Avec la seconde, Composition : couleurs dans l’espace, un cercle chromatique tronqué se déploie comme un éventail. On pense à Kandinsky, qui affirmait mémoriser les couleurs des choses qu’il avait vues durant son enfance, mais non pas les objets eux-mêmes.

La luminosité pour sujet

Suivent des toiles au format vertical, où la frontière entre intérieur et extérieur est incertaine. Porte blanche (1968) et Hommage à Saenredam (1969) présentent des surfaces blanches parcourues de lignes tremblantes – montants de portes ou de fenêtres ? – qui suggèrent une ouverture à la lumière. La lumière, ou plutôt la luminosité, devient alors le véritable sujet de plusieurs tableaux magnifiques, où une minuscule strie blanche horizontale rayonne au cœur d’une surface grise (Ouverture lumière, 1973).

Vue de l'exposition « Geneviève Asse : le bleu prend tout ce qui passe » au Musée Soulages. © Thierry Estadieu © Adagp Paris 2025
Vue de l'exposition « Geneviève Asse : le bleu prend tout ce qui passe » au Musée Soulages.
© Thierry Estadieu
© Adagp Paris 2025

Sans recourir explicitement à la technique sérielle, Geneviève Asse réalise des variations, reprenant systématiquement ses compositions comme pour approfondir sa perception. En répétant les mêmes expériences avec de légères altérations, en représentant inlassablement le même motif, elle cherche à mieux saisir le monde et à le réinventer. Cet effort laisse apparaître le lent travail de composition, la fragilité de chaque « solution » et ses ajustements successifs. Dans son univers, aucun sujet ne se résume pas à une seule image, aucun tableau n’est jamais clos sur lui-même : il prend tout son sens dans sa relation aux autres.

Peu à peu, de vastes champs de couleur bleue font leur apparition. Particulièrement frappantes sont les quatre immenses Stèles (1995) présentant une incision blanche, verticale cette fois, tel un éclair. Paysage abstrait ? nocturne ? Geneviève Asse évite cette assimilation : si la nature demeure probablement son point de départ, elle n’en constitue nullement l’aboutissement.

Face à cette œuvre singulière, une question s’impose que seule la distance permet d’aborder, celle de la place de cette production artistique dans son contexte historique et de son influence éventuelle. Une certitude demeure : la disponibilité de Geneviève Asse à la beauté.

Geneviève Asse. Le bleu prend tout ce qui passe,
jusqu’au 18 mai, Musée Soulages, jardin du Foirail, av. Victor-Hugo, 12000 Rodez.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°649 du 14 février 2025, avec le titre suivant : La rhapsodie en bleu et gris de Geneviève Asse

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