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La petite fabrique des songes

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 21 octobre 2024 - 1071 mots

Qu’est-ce que le rêve ? Pourquoi rêvons-nous ? C’est ce que tente d’expliquer l’étonnante exposition « Le temps d’un rêve » du Musée des confluences, à Lyon, à travers une série d’escales dans différentes cultures, de l’Antiquité à nos jours.

1. L’activité électrique du cerveau

Que se passe-t-il dans notre cerveau quand nous rêvons ? Si le rêve semble insaisissable, les neurosciences s’intéressent de plus en plus aux mécanismes du sommeil et de ses états modifiés de conscience. Les sculptures de la jeune artiste plasticienne Justine Emard (née en 1987) matérialisent l’activité électrique du cerveau pendant que nous dormons : ses étranges créatures fantomatiques, qui mettent en scène le rêve dans l’aventure spatiale, sont en réalité les impressions en trois dimensions des mesures encéphalographiques relevées par le bandeau de sommeil équipant les astronautes de la Station spatiale internationale (ISS). Si le sommeil paradoxal, où le cerveau montre une activité électrique régulière, marquée par des ondes lentes et amples, est particulièrement propice au rêve, on sait désormais que durant la phase de sommeil lent, l’activité électrique du cerveau s’intensifie, et les souvenirs de rêves sont plus fréquents. « On peut rêver dans toutes les phases de sommeil », souligne Yoann Cormier, chef de projet de l’exposition « Le temps d’un rêve », au Musée des confluences, qui propose un voyage dans les songes depuis l’Antiquité et dans différentes cultures.

2. Rêver pour guérir

Protégée du soleil par une ombrelle, une malade est alitée dans un sanctuaire. À l’arrière-plan de ce tableau du peintre d’histoire Ernest-Auguste Gendron (1817-1881), des offrandes ont été déposées aux pieds de l’effigie du dieu Asclépios, dieu grec de la médecine et de la guérison, fils d’Apollon, représenté tenant un bâton autour duquel s’enroule un serpent. Sans doute la jeune femme a-t-elle subi des rites de purification, et s’apprête-t-elle à s’endormir après avoir bu une décoction. À son réveil, les prêtres recueilleront le récit de son rêve. Il leur faudra l’interpréter, afin de pouvoir dresser un diagnostic de la maladie et donner le traitement le plus opportun – onguents, plantes médicinales… C’est ce rite qu’on appelle, dans l’Antiquité, l’« incubation » prophétique – du latin incubare, « se coucher ». On le retrouve sous des formes différentes aux quatre coins du monde, en Mésopotamie, en Égypte comme en Grèce, où l’on peut encore visiter à Épidaure le sanctuaire dédié à Asclépios, où affluaient les pèlerins.

3. Des songes pour communiquer avec l’au-delà

« Par l’acte de rêver, nous pouvons percevoir d’autres mondes [...]. Mais nous ne pouvons pas décrire ce qui nous les rend perceptibles. Néanmoins, nous pouvons sentir comment rêver ouvre ces autres royaumes », écrit l’écrivain Carlos Castañeda dans son Art de rêver en 1993. Que ce soit en Afrique, en Asie, dans les Amériques, chez les Inuits ou en Europe, le rêve peut être perçu comme un espace de rencontre entre notre monde et celui d’esprits ou d’ancêtres décédés. Cette planche kanake, qui représente un visage en partie haute, incarne cette communication entre deux mondes pendant le sommeil. « Il faut l’imaginer en symétrie, avec un visage tourné vers le bas à l’opposé, car ces objets étaient coupés en leur centre pour être exposés par les galeristes européens », explique Yoann Cormier. Ces planches étaient placées dans la « maison commune » d’un village. Si une problématique se posait dans une communauté, un devin ou un prêtre dormait sur cette planche pour rentrer en communication avec les ancêtres, qui lui apportaient par le rêve des réponses.

4. Les artistes inspirés

S’il est d’abord représenté comme le lieu où se manifestent aux humains les messages divins, le rêve « personnel » inspire les artistes à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Le cinéma, la photographie, la bande dessinée ne tardent pas à s’emparer à leur tour de la puissance fantasmagorique du rêve, comme en témoigne cette planche de Little Nemo de Winsor McCay, en 1907, dont le jeune héros voyage chaque nuit au pays du sommeil. Surtout, avec les surréalistes, le rêve devient un moteur de l’art et une modalité créative. « J’ai eu toute la nuit des rêves créatifs. L’un d’eux inventait une très complète collection de coutures, capable à elle seule de m’assurer une fortune en tant que couturier pendant tout au moins sept saisons. L’oubli de mon rêve m’a fait perdre ce petit trésor. À peine ai-je essayé de reconstituer deux robes qui habilleront Gala cet hiver à New York », écrit Salvador Dalí dans son Journal d’un génie (1974).

5. Une catharsis par le cauchemar

Être poursuivie par un monstre, quel cauchemar terrifiant pour une fillette ! Cette photographie a été composée par le photographe américain Arthur Tress (né en 1940). Pour cette série intitulée « Daymares », publiée dans son ouvrage Dream Collector en 1973, ce dernier a interrogé des enfants qui lui ont raconté leurs pires cauchemars, dans le but de les reconstituer dans une mise en scène très cinématographique. En 2007, les neuroscientifiques Ross Levin et Tore Nielsen présentent une théorie de plus en plus admise par la communauté scientifique : le cauchemar aurait pour fonction de nous tester et réguler nos émotions. À travers un scénario à la charge émotionnelle lourde, le dormeur, éprouvé par des événements déjà vécus ou redoutés, se préparerait à mieux affronter des situations effrayantes de la vie réelle.

6. Une clé des songes ?

Vous rêvez d’un clou ? C’est qu’un « déshonneur » entre dans votre famille. D’un soleil ? Un « amour vif et pur » est présent dans votre vie. Cette carte postale du début du XXe siècle s’amuse à donner des « clés des songes », selon l’idée que ces derniers pourraient tous être interprétés par qui en maîtrise les symboles. Cet art, qu’on appelle l’« oniromancie », remonte à L’Onirocritique d’Artémidore de Daldis – ou Artémidore d’Éphèse – au IIe siècle, qui attribue des significations symboliques à des êtres ou des objets apparaissant dans les rêves. À sa suite, de l’Antiquité à nos jours et sur tous les continents, le succès des dictionnaires et autres traités d’interprétation des rêves se confirme. Cette approche du rêve, qui suppose une symbolique commune à tous les humains quelle que soit leur histoire personnelle, a cependant été remise en cause par la psychanalyse. « Freud se dresse contre l’oniromancie, qui suppose que la signification d’un rêve peut être délivrée de l’extérieur : il explique que le rêve constitue un message que le rêveur s’adresse à lui-même à travers un scénario de rêve fort en émotions – malgré une censure onirique – que l’on peut délier avec l’aide d’un psychanalyste », résume Yoann Cormier.

À voir
« Le temps d’un rêve »,
Musée des Confluences, 86, quai Perrache, Lyon (69), jusqu’au 24 août 2025, www.museedesconfluences.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°780 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : La petite fabrique des songes

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