EVIAN
Autour de la figure de Giovanni Giacometti, le Palais Lumière convie un quatuor d’artistes liés d’amité et pareillement inspirés par les paysages alpins du territoire des Grisons.
Évian (Haute-Savoie). Entre la montagne et la Suisse, c’est une longue histoire. On songe immédiatement aux magnifiques tableaux de Ferdinand Hodler dont on ne verra que peu d’exemples à Évian, en raison de la difficulté à obtenir des prêts dans la période actuelle. L’exposition « La montagne fertile », organisée par le musicologue et plasticien Corsin Vogel au Palais Lumière, est axée sur les paysages d’un canton particulier, les Grisons. Fréquentée par les artistes et les poètes au début du XXe siècle, cette région à la nature spectaculaire donne lieu à de nombreuses représentations séduisantes. Pour autant, le véritable thème de l’exposition n’est pas les montagnes mais les liens entre quatre artistes suisses majeurs, plus ou moins contemporains, et leurs échanges. Au cœur du parcours on trouve ainsi Giovanni Giacometti (1866-1933), très largement présent. Cependant la chronologie est respectée et la première salle est consacrée à son maître, Giovanni Segantini (1858-1899), un peintre qui fait appel à la technique divisionniste tout en restant dans la tradition symboliste. On remarque d’ailleurs qu’il est le seul à placer dans ses toiles des personnages, représentés isolés face à la montagne (Retour de la forêt, 1890). Giacometti, lui, réalise des visions panoramiques où le ciel, plus précisément une lumière glacée, occupe une partie importante de la toile (L’Alouette, 1920). Une des photographies d’Albert Steiner (1877-1965), intitulée Au-dessus des vallées et des hommes (1908-1920), entre en parfaite résonance avec cette manière de voir la nature.
Ailleurs, les aquarelles dépouillées et d’une délicatesse extrême de Cuno Amiet (1868-1961), ami intime de Giacometti, sont des compositions synthétiques réalisées à partir de bandes de couleurs pratiquement autonomes (Au lac de Sils, s.d.). De petit format, ces visions intimistes sont dépourvues de tout pathos.
Plus loin, c’est un ensemble de portraits que les artistes ont réalisés les uns des autres, en témoignage de l’amitié qui les lie, voire de leur admiration mutuelle (Cuno Amiet, Portrait de Ferdinand Hodler devant son tableau de Marignan, 1898 ; Giovanni Giacometti, Giovanni Segantini sur son lit de mort, 1899).
Enfin, on reste dubitatif quant à la partie consacrée à l’héritage de ces ténors de la peinture suisse. Certes, Alberto Giacometti est le fils de Giovanni. Certes encore, les quatre toiles et surtout la magnifique Montagne (1930), dont les strates et la géométrisation évoquent Cézanne, figurent des paysages. Cependant le reste de l’œuvre de l’artiste, qu’il s’agisse de la thématique ou du style, a peu en commun avec celle de la génération précédente. Ce sont sans doute les photographies du val Bregaglia par Andrea Garbald, montrant des cimes recouvertes de neige, mais aussi celles, célèbres, de la famille Giacometti, qui s’accordent le mieux avec l’esprit de l’exposition. Pour autant, si les deux cartes postales de Joseph Beuys, dont l’inscription « La révolution, c’est nous » a fait le tour du monde, sont des reliques anecdotiques, l’installation sonore de Corsin Vogel s’adresse subtilement à notre imaginaire.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°565 du 16 avril 2021, avec le titre suivant : La montagne et les artistes