NICE
La Villa Arson accueille une nouvelle version de l’exposition collective « Tainted Love » présentée en 2017 au Confort Moderne. Placé ici sous le signe d’une culture musicale et visuelle festive, cet esprit de club est entendu comme un art de vivre.
Nice. Comme il l’a longtemps fait au Confort Moderne, qu’il dirige depuis 2014, Yann Chevallier a réuni dans cette exposition plusieurs communautés : « Tainted Love » fut d’ailleurs initialement créée à Poitiers et il s’agit ici d’une nouvelle version, « Club Edit ». Entendre « club » non pas comme un stéréotype de la nuit mais plutôt un lieu commun à des minorités qui se rassemblent « pour mener des activités désintéressées », précise Yann Chevallier. Ce fantasme d’appartenance est au risque d’un certain entre-soi. Cependant, s’il s’agit d’offrir une vision contemporaine de la fête, de ses clichés, de ses excès, de son délire, l’opération est parfaitement réussie.
Efficace, avec dès l’entrée ce néon rose glamour évoquant l’univers de la cosmétique signé Sylvie Fleury, ces sculptures triviales et drôles d’Elmgreen & Dragset, paires de jeans et caleçons abandonnés au sol dans un repli hâtif, cette boule à facettes menottée au mur de Brian de Graw, clin d’œil à la scène new-yorkaise, puisque la nuit ne connaît pas de frontières. Transgressive, à la façon de cette série de posters caustiques de Fabienne Audéoud & John Russel, de ces toiles à l’intimité explicite de Betty Tompkins (née en 1945, c’est la doyenne de l’exposition) ou encore de ce « Nique Ton Père » tracé en lettres noires sur un fond blanc soigneusement préparé de Anne-Lise Coste. Transversale forcément, comme l’affirmation d’un style de vie, avec les bijoux sculptures de Segondurante, les Alaïa shoes coulées dans le bronze de Sylvie Fleury, ou l’installation à fleur de peau de Vava Dudu, couturière et icone trash. Spectaculaire, bien sûr, grâce aux perspectives qu’offre l’architecture sur plusieurs niveaux, comme plusieurs scènes, de la Villa Arson, accentuée par des œuvres postées à la façon de trophées, combinaison de moto lacérée épinglée au mur d’Alexandra Bircken, silhouettes spectrales, Wild Rose, d’Émilie Pitoiset ou moulage en plâtre d’une main à l’index comminatoire, où pend un chapelet de bagues et de créoles orphelines d’Aude Anquetil. Rita Ackerman avec une toile Work in progress, Liza Craft, Celia Hampton, Tarik Kiswanson, Apolonia Sokol… la liste (35 artistes) est longue, à dominante féminine et le parcours ponctué de deux respirations monographiques : l’installation de mannequins parés de costumes, liés par le récit d’une fiction sonore imaginée par Lise Haller Baggesen et la série de tableaux de Norbert Bisky, aux couleurs tropicales vénéneuses [voir illustration].
La musique ? Alors que le titre s’y réfère directement – Tainted Love est un tube du groupe Soft Cell – on pourrait s’attendre à ce qu’elle soit omniprésente, mais elle fait plutôt office de point d’orgue. D’abord dans l’espace précaire construit par Azzedine Salek, boîte de nuit individuelle diffusant une composition tournant en boucle de Tom Of England, abri dérisoire pour clubbeur solitaire. Mais aussi dans Mixtape (2002) des artistes et cinéastes Oliver Payne et Nick Relph, « une des vidéos les plus importantes des années 2000 », selon Yann Chevallier. Montage d’images sur un remix de Terry Riley, ce film court s’articule sur ce qui semble être la bande-son frénétique d’une (sous)-culture enracinée dans la vie, scandaleuse, donc essentielle.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°518 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : La culture club revient en piste à la Villa Arson