Sous le titre « Nourrir Gaïa », la Biennale se ressource aux mythologies et iconographies développées à travers les âges et les civilisations pour personnifier la nature.
Bangkok (Thaïlande). La 4e édition de la Biennale d’art de Bangkok (24 octobre 2024-25 février 2025), qui réunit sur onze lieux 76 artistes issus de 39 pays, approfondit son dialogue, engagé dès son lancement en 2018, entre art ancien voire antique et art contemporain. Elle met ainsi l’accent sur les représentations maternelles et féminines de la nature au fil des époques, à l’instar de Gaïa, la déesse de la mythologie grecque. Le texte curatorial fait également référence à l’« hypothèse Gaïa » du penseur et scientifique anglais James Lovelock (1919-2022), qui postulait que la Terre serait un « superorganisme ».
Au BACC (Bangkok Art and Culture Centre), le visiteur est accueilli par Golden Girl (2024), figure galbée et mobile de plus de 5 mètres de hauteur. Suspendue au cœur de l’atrium du bâtiment, l’œuvre du Coréen Choi Jeong Hwa (né en 1961) rappelle les formes voluptueuses de la Vénus de Willendorf, transmutée en une version monumentale et aérienne de la déesse de la fécondité du Paléolithique supérieur.
Peintes en rouge vif, les galeries attenantes se distinguent par la présence de sculptures de Louise Bourgeois (1911-2010), fruit de la collaboration de la biennale avec la Fondation Easton (New York), qui gère l’œuvre de l’artiste depuis sa disparition. Janus in Leather Jacket (1968) est suspendue à proximité d’un yoni en pierre du XVe siècle, organe génital féminin stylisé symbolisant l’énergie féminine dans la tradition hindouiste, et de deux linga, représentations phalliques du dieu Shiva souvent associé au yoni. Ce dialogue avec des pièces historiques, issues des collections publiques des musées nationaux thaïlandais, contextualise la question du genre et son ambiguïté dans l’œuvre de Bourgeois. Les sculptures en bronze Femme (1960) et Nature Study (1984) présentées dans la galerie suivante, ainsi que Eyes (1995), exposée dans l’un des jardins du temple Wat Pho, complète ces juxtapositions inédites.
Intégré pour la première fois aux onze sites de la Biennale, le Musée national de Bangkok expose une autre figure majeure du XXe siècle : Joseph Beuys (1921-1986). L’intérêt profond de l’artiste allemand pour les civilisations non occidentales et l’Eurasie est ainsi ravivé grâce à la présentation conjointe, aux côtés de ses œuvres, d’objets d’antiquité d’Asie du Sud-Est. Un dialogue comparable est établi pour plusieurs artistes contemporains, parmi lesquels le Thaïlandais Dusadee Huntrakul (né en 1978), qui ont pu puiser dans les collections antiques du musée.
Au Queen Sirikit National Convention Centre, l’approche est plus contemporaine, avec notamment Telle mère, tel fils (2008, [voir illustration]), installation monumentale d’Adel Abdessemed construite à partir de carcasses d’avion. Sur le même site, Walk on Clouds (2019), vidéo d’Abraham Poincheval, et au BACC, Grosse fatigue (2013), vidéo de Camille Henrot ayant reçu le Lion d’argent à la 55e Biennale de Venise en 2013, complètent cette présence française.
Au cœur du dispositif curatorial de la Biennale depuis sa création, la performance retrouve sa place au BACC, mais à une échelle réduite. Celle d’Aleksandar Timotic, intitulée Are you hungry ? (2023) sort de l’ordinaire : les visiteurs peuvent le rejoindre autour d’une table pour éplucher des pommes de terre et l’écouter lorsqu’il s’interrompt dans sa tâche pour chanter de sa voix puissante de contre-ténor. Les performances de Dante Buu, Amanda Coogan et Moe Satt se distinguent également par leur originalité.
À la National Gallery de Bangkok, la Biennale présente un volet complémentaire sur la fluidité du genre et l’égalité entre les sexes, grâce aux œuvres de George K., Guerreiro do Divino Amor, Chitra Ganesh et Agnes Arellano, entre autres. À cet égard, « Gaïa » correspond également phonétiquement au mot thaïlandais kaya, dérivé du sanskrit et signifiant « corps ». Cette homophonie renforce la dimension vernaculaire et organique de la biennale, en écho avec la force régénératrice de la nature et unificatrice de la culture.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : La Biennale d’art de Bangkok se régénère