Thaïlande - Biennale

BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN

La Biennale d’art de Bangkok se consolide

BANGKOK / THAÏLANDE

Sous le titre « Chaos : Calm », la troisième édition de la biennale thaïlandaise confirme ses principales orientations artistiques. Elle s’assure ainsi de son avenir dans une capitale toujours dépourvue de musée national.

Bangkok (Thaïlande). Intitulée « Chaos : Calm », la troisième Biennale d’art de Bangkok est conçue comme le dernier opus d’une trilogie, après « Beyond Bliss » en 2018 et « Escape Routes » en 2020. Les 73 artistes sélectionnés issus d’une trentaine de pays ont été invités à répondre artistiquement aux différentes menaces qui pèsent sur notre planète ainsi que sur la condition humaine. Déployée sur onze sites et une plateforme en ligne, plus de 200 œuvres sont exposées dans la capitale thaïlandaise jusqu’au 23 février 2023.

Contrairement à d’autres biennales qui affectionnent l’exploration de directions artistiques différentes (voire opposées) au fil du temps, la Biennale d’art de Bangkok (BAB) cultive la continuité. Celle-ci est particulièrement notable dans l’équilibre maintenu entre artistes confirmés et artistes émergents, l’intégration d’œuvres in situ dans trois temples bouddhistes, ainsi que dans l’espace dévolu à la performance.

Sous la direction artistique d’Apinan Poshyananda et d’une équipe de quatre commissaires d’exposition (Loredana Pazzini-Paracciani, Chomwan Weeraworawit, Nigel Hurst et Jirat Ratthawongjirakul), cette troisième édition peut être aussi vue comme une double articulation en quête d’un nouvel ordre artistique : entre passé et présent d’une part, entre Orient et Occident d’autre part.

Antony Gormley et le bouddhisme

Au Wat Pho, l’un des temples bouddhistes les plus prestigieux de la capitale, Contain et Connect (2022), deux sculptures d’Antony Gormley conçues spécifiquement pour ce site, incarnent cette ambition. Ces sculptures métalliques à taille humaine se dressent à même le sol, sans socle, dans deux cours intérieures situées au cœur du temple. Reflet du profond intérêt de l’artiste pour le bouddhisme et le jaïnisme depuis sa découverte de l’Inde et du Sri Lanka dans les années 1970, les deux sculptures dialoguent visuellement avec les autres monuments et ornements du lieu. Gormley ajoute ainsi une touche occidentale à ce temple connu pour son identité sino-siamoise.

Au Queen Sirikit National Convention Center, site flambant neuf nouvellement intégré à la Biennale, Jitish Kallat présente Untitled (Two Minutes to Midnight) (2018), une installation sculpturale en matériaux composites. Cet ensemble de six sculptures s’apparente à des versions monumentales de haches et de pierres taillées du Paléolithique. Détail étrange : des yeux de diverses espèces animales apparaissent en surface. Présage d’un cataclysme imminent, ces sculptures sont placées sur un socle rappelant la forme de l’horloge de l’apocalypse. Symbole des menaces qui s’accumulent sur notre planète, l’œuvre fait parfaitement écho au titre de la biennale « Chaos : Calm ».

Contrastant avec les sculptures massives de Kallat, l’installation monumentale voisine de Chiharu Shiota, The Eye of the Storm (2022, [voir illustration]), met en scène une version aérienne de « Chaos : Calm ». Composée d’un réseau dense de fils rouges suspendus auxquels sont accrochées des milliers de feuilles blanches, cette installation frappe par sa simplicité, son gigantisme et son instantanéité. Le travail de Shiota esquisse un autre équilibre entre ordre et désordre, calme et chaos. Sur le même site, une sélection d’œuvres de Robert Mapplethorpe (1946-1989) issues de la fondation de l’artiste complète l’ensemble.

Outre Shiota, l’édition de 2022 réunit un nombre important de femmes artistes reconnues comme Yee I-Lann, Pinaree Sanpitak, Kimsooja ou Rachel Kneebone. Quant à Marina Abramovic, elle fait désormais figure de marraine de la biennale dans la mesure où elle a déjà participé aux deux précédentes éditions. Sa fidélité reflète l’importance de la performance parmi les œuvres sélectionnées depuis le lancement de la biennale en 2018.

Pour cette troisième édition, les artistes thaïlandais sont particulièrement bien représentés avec, entre autres, Aor Nopawan Sirijwekul et Mongkol Plienbangchang, fondateurs du collectif Blurborders ; Kawita Vatanajyankur, dont le travail oscille entre vidéo et performance, ainsi que Pitchapa Wangprasertkul, très jeune artiste qui se met en scène chaque jour pendant huit heures dans un étroit cube de verre mobile et transparent. Tous ces artistes réalisent des performances au Bangkok Art and Culture Centre (BACC), autre site majeur.

Une réponse à l’écosystème culturel de Bangkok

Financée essentiellement par des sponsors privés (le groupe ThaiBev en particulier), la biennale, par sa la configuration spécifique, répond finalement aux particularités de l’écosystème culturel de Bangkok. La capitale thaïlandaise ne dispose en effet toujours pas de musée national doté d’une collection permanente d’art moderne et contemporain ouvert au public. Un bâtiment neuf pour la « National Art Gallery » a bien été construit ces dernières années dans le quartier de Huai Khwang au nord-est de Bangkok, mais le lieu est désaffecté faute de fonds publics. Cette situation est paradoxale quand on sait que la Thaïlande dénombre plus de musées que la Corée du Sud et que tous les autres pays de l’Asie du Sud-Est réunis.

Forte d’un budget en hausse s’élevant à plus de 5 millions d’euros, la troisième Biennale d’art de Bangkok se déploie avec d’autant plus de facilité dans un écosystème aussi sous-investi. C’est également la raison pour laquelle le comité a déjà confirmé l’organisation de trois nouvelles éditions jusqu’en 2028.

Bangkok Art Biennale, « Chaos : Calm »,
jusqu’au 23 février 2023, www.bkkartbiennale.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°599 du 18 novembre 2022, avec le titre suivant : La Biennale d’art de Bangkok se consolide

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