VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE
Une rétrospective sort de l’ombre ce sculpteur figuratif et lui redonne sa place dans l’esthétique du début du XXe siècle.
Villefranche-sur-Saône. « On ne perçoit plus aujourd’hui à quel point le caractère synthétique et formel de cette figure, et son refus de l’anecdote, étaient nouveaux et modernes », a écrit Valérie Montalbetti à propos de Jeune Fille à la cruche ou Porteuse d’eau (1910) du sculpteur Joseph Bernard (1866-1931). Le Musée d’Orsay en possède une épreuve en bronze acquise par l’État en 1917, à l’époque de la pleine gloire de l’artiste. Déposée en 1977 au Musée national d’art moderne-Centre Georges Pompidou, elle aurait pu ne plus voir le jour si elle n’avait été affectée au Musée d’Orsay en 1986. Depuis sa mort, Joseph Bernard n’était plus connu que des amateurs de sculpture figurative et serait tombé dans l’oubli sans le combat de son fils, le peintre et sculpteur Jean Bernard (1908-1994). Pour sortir son père de l’anonymat, celui-ci a consenti des dons à la Fondation de Coubertin, qu’il a contribué à créer et qui conserve également les œuvres de l’indivision Joseph Bernard, au Musée des années trente de Boulogne-Billancourt et au Musée d’Orsay.
Première étape d’une rétrospective qui sera ensuite présentée à La Piscine, Musée d’art et d’industrie André-Diligent de Roubaix, le Musée Paul-Dini insiste sur l’ancrage régional de ce fils de tailleur de pierre né à Vienne (Isère) et suivi toute sa vie par les amateurs, collectionneurs et édiles de la région lyonnaise. Un texte de salle, placé en regard de la Jeune Fille à la cruche, précise que ce tirage en plâtre de 1921 [voir ill.] a été acheté par Henri Focillon, alors directeur du Musée des beaux-arts de Lyon, à la demande d’Édouard Herriot, maire de la ville. Valérie Montalbetti, commissaire scientifique de l’exposition avec Soline Dusausoy, responsable des collections et du Musée de la Fondation de Coubertin, précise que cette figure de porteuse d’eau est très certainement inspirée de la toile Vision antique de Pierre Puvis de Chavannes (1885), placée au Musée des beaux-arts de Lyon (qui abritait également l’École des beaux-arts), alors que le jeune Joseph Bernard y étudiait depuis 1881. À Paris dès 1887, l’artiste s’installa deux ans plus tard à la cité Falguière où il rencontre plus tard un jeune peintre lyonnais, Louis Bouquet (1885-1952), qui fait son portrait en 1912. La même année, le tableau est présenté au Salon d’automne où Joseph Bernard est honoré d’une exposition personnelle. Il le montre maillet et ciseau en mains devant Le Remords, une figure du Monument à Michel Servet sur lequel il a œuvré de 1908 à 1911. C’est précisément pour cette technique de la taille directe que le sculpteur était considéré comme un avant-gardiste. On l’opposait à Rodin qui travaillait par modelage, laissant ses praticiens se mesurer à la matière. Cependant, Bernard n’était pas dogmatique. Diminué par la maladie, il fit d’ailleurs appel à un praticien, Jean Chauvin, qui se tourna plus tard vers l’abstraction.
Joseph Bernard utilisait le modelage ou la taille directe « en fonction de ce qu’il avait à exprimer, explique Valérie Montalbetti. Il avait pratiqué la taille de pierre avec son père et c’est en revenant à ce métier, en sortant de ce qu’on lui avait appris dans les écoles de beaux-arts, qu’il a trouvé son style. Notamment parce que, dans la confrontation au matériau, on est obligé d’aller à l’essentiel. Le critique Waldemar-George dira que, grâce à Bernard, la sculpture revient à ce qu’elle est : la recherche d’une forme dans un matériau. C’est ce côté formel qui fait que Bernard est considéré à l’époque comme un des grands modernes, au même titre qu’un Brancusi. »
L’exposition montre son cheminement vers la simplification. La Grande Bacchante (1912-1919) s’inscrit dans un bloc de pierre vertical dont la forme contraint sa position et ses gestes. Elle est aussi parfaitement adaptée à une époque donnant une grande importance aux arts décoratifs. Joseph Bernard, qui était par ailleurs reconnu pour son talent de dessinateur et d’aquarelliste (les feuilles des années 1910 sont particulièrement belles), a appliqué à la décoration ce style à la fois primitif et souple dont ses contemporains ont raffolé.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°558 du 8 janvier 2021, avec le titre suivant : Joseph Bernard, un moderne ignoré