Art non occidental

Jōmon, chefs-d’œuvre de la préhistoire japonaise

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 1 octobre 2018 - 880 mots

PARIS

Temps fort de la saison « Japonismes 2018 », la Maison de la culture du Japon montre l’extraordinaire richesse formelle de la civilisation Jōmon.

C’est par le Mainichi Shinbun que le scandale arrive en novembre 2000. L’important quotidien japonais révèle, photographies à l’appui, que Fujimura Shin’ichi enfouissait la veille les objets qu’il découvrait le lendemain devant les caméras. L’homme n’est alors pas n’importe quel archéologue : surnommé « la main de Dieu », il est auréolé, depuis les années 1970, de la découverte des plus anciens objets de l’archipel, annonçant même avoir découvert un site datant de près de… 600 000 ans. La révélation de la fraude déclenche alors un véritable séisme dans le monde de l’archéologie nipponne. Combien d’autres « découvertes » sont-elles concernées ? Et combien d’autres archéologues fraudeurs le Japon compte-t-il ?

L’affaire serait en réalité anecdotique si elle n’était pas révélatrice de l’engouement que le Japon connaît, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour sa préhistoire et, par conséquent, de la pression que le pays tout entier exerce sur ses scientifiques. Cet intérêt pour les fouilles est autant motivé par le tourisme – la mise au jour de nouveaux sites permet de développer l’économie régionale du pays – que par la politique, qui cherche à réécrire un roman national qui puiserait alors ses racines hors du continent voisin et de la Chine ennemie. Résultat, encouragé par une législation favorable, le Japon dénombre aujourd’hui plusieurs milliers de champs de fouilles qui, en dépit de certaines dérives, permettent de préciser chaque jour un peu plus la chronologie japonaise longtemps demeurée approximative. 

Une civilisation primitive raffinée
C’est ainsi que le Japon est désormais en mesure de découper sa préhistoire en trois périodes fondatrices et autant de civilisations : les civilisations Iwajuku (qui prend fin vers -12 000), Jōmon (les premières céramiques, de -12 000 à -400) et Yayoi (l’âge de métal, qui court jusqu’au VIIe siècle). Jōmon, qui couvre donc plus de 10 000 ans, est de loin la période préférée des historiens de l’art, la plus intéressante formellement. Elle a été mise au jour en 1877 par le zoologue américain Edward Sylvester Morse, lequel a découvert, dans un quartier de Tokyo, des amas de coquillages contenant des ossements humains et d’étonnantes poteries à « motif cordé » (jōmon en japonais). Cette poterie avait déjà été repérée dès la fin du XVIIIe siècle, mais personne ne la jugeait alors digne d’intérêt. Ce qui changera à partir de la fin du XIXe siècle : cette civilisation « primitive » passionne en effet la communauté scientifique, qui va peu à peu découvrir un peuple de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs raffinés, pratiquant le tatouage et se parant de bijoux, installés le long des côtes dans des premières habitations fixes à demi-enterrées. 

Si l’on pense longtemps que la période Jōmon ne remonte guère au-delà du premier millénaire avant notre ère, les découvertes faites à partir des années 1960 vont révéler la longévité de cette civilisation, notamment grâce à l’extraordinaire diversité des poteries qui permettront de distinguer plusieurs époques. « Paradoxe Jōmon », comme l’appelle l’archéologue Jean-Paul Demoule, la poterie au Japon précède l’agriculture, ce qui différencie le « néolithique » asiatique du néolithique occidental. 

Mais c’est un artiste, le peintre et sculpteur Tarō Okamoto (1911-1996) qui, le premier, va reconnaître la valeur artistique de la création Jōmon. Celle-ci inspirera d’ailleurs sa Tour du soleil, réalisée pour l’Exposition universelle d’Osaka en 1970, événement qui marque un tournant dans l’histoire du Japon. Cette production Jōmon se compose principalement de vases et de jarres en terre cuite, réalisés selon la technique de la poterie en colombins, cette technique primitive qui consiste à superposer de longs boudins d’argile. Les motifs, si séduisants aujourd’hui pour leur aspect baroque, étaient quant à eux obtenus par impression de cordelettes. Si cette céramique était d’abord destinée à un usage domestique, notamment à la cuisson des aliments, et religieux, pour y déposer les offrandes aux dieux, des exemples de jarres-cercueils ont toutefois été retrouvés lors de fouilles. Avec ses formes plus ou moins évasées aux lèvres ouvertes, terminées par des volutes, recouvertes de motifs dessinés au peigne ou grâce à un coquillage, aucun autre exemple de céramique primitive ne témoigne, en Asie, d’autant de sophistication – en 1975, des fouilles ont révélé que l’invention des laques à des fins décoratives remontait au Jōmon ancien. Selon les époques et les régions, des serpents, des grenouilles voire, parfois, des masques humains composent les décors de certains vases. Mais la civilisation Jōmon se distingue aussi par ses poteries en forme d’animaux et ses statuettes anthropomorphes, masques parfois très élaborés (domen) ou petites figurines (dogū). Réalisées en terre cuite, ces statuettes servaient peut-être d’intercesseurs avec le monde surnaturel.

Il faut remonter à 1998 pour se souvenir de la dernière – et première – exposition « Jōmon, l’art du Japon des origines », en France. Depuis cet événement organisé par la Maison de la culture du Japon à Paris, les pièces, trop fragiles et trop importantes pour voyager, n’avaient pas quitté le territoire japonais. Elles reviennent exceptionnellement cet automne en France, toujours à la Maison de la culture du Japon, dans le cadre de la saison « Japonismes ». Sobrement intitulée « Jōmon », l’exposition réunira de magnifiques exemples de vases, dogū, ustensiles et bijoux pour beaucoup classés trésors nationaux et biens culturels importants. L’occasion rare de toucher des yeux l’une des civilisations primitives les plus raffinées au monde, et encore si mystérieuse. 

« Jōmon »

Du 17 octobre au 8 décembre 2018. Maison de la culture du Japon,  Paris-15e. Du mardi au samedi de 12 h à 20 h. Tarifs : 7 et 5 €. www.mcjp.fr

Le site qui répertorie les événements liés à la saison du japonisme en France : japonismes.org

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Jōmon, chefs-d’œuvre de la préhistoire japonaise

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