À la fois artiste et commissaire de l’exposition qui s’est ouverte à Nice, Jean-Pierre Raynaud est également un fin analyste de son œuvre. Une triple casquette pour une exposition manifeste.
Quel est le propos de l’exposition « Les Raynaud de Raynaud » présentée actuellement à Nice ?
Jean-Pierre Raynaud : Après ma rétrospective au Jeu de Paume en 1998, où le choix des œuvres avait été opéré par Daniel Abadie qui en était le commissaire, j’ai eu envie de faire un état des lieux de mon travail, non plus à travers le regard d’un tiers mais tel que je le perçois. Je voulais comprendre comment les choses s’articulent entre les œuvres anciennes et mon travail plus récent. Par ailleurs, il m’a semblé très important de faire une exposition de mon œuvre qui ne soit pas une nouvelle interprétation extérieure.
Gilbert Perlein, le directeur du musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice, a bien voulu jouer le jeu, et je lui en suis infiniment reconnaissant.
L’exposition est organisée autour de votre collection personnelle. S’agit-il d’une présentation de votre travail ou d’une démonstration ?
C’est comme un constat d’huissier. Il y a à peu près cent vingt œuvres qui ont la particularité de toutes m’appartenir, d’où le titre de l’exposition.
Je possède un grand nombre de pièces importantes qui couvrent tout mon parcours, du début des années 1960 jusqu’à aujourd’hui, soit que j’ai tenu à les garder au moment de leur réalisation, soit que j’en ai racheté moi-même certaines au fil du temps. Ce sont des œuvres qui m’ont toujours servi à la façon de bombes actives.
Que nous apprend un tel rassemblement que les autres expositions, dont celle du Jeu de Paume, ne nous ont pas déjà montré ?
Il dévoile mon regard. Ce sont des œuvres avec lesquelles j’ai vécu dans l’intimité, des œuvres que j’ai désiré avoir près de moi pour toutes sortes de raisons subjectives.
Ainsi, au lieu de remontrer pour la énième fois des pièces plus ou moins « historiques » qui sont ici et là dans les collections privées ou publiques, on découvre des œuvres qui n’ont quasiment jamais été vues ou seulement reproduites. Cela crée un dialogue d’une tout autre nature et révèle peut-être une autre face de moi-même.
Auriez-vous pu organiser « Les Raynaud de Raynaud » à une autre période de votre vie ?
L’exposition advient après quelque quarante-cinq ans de travail. Il ne s’agit toutefois pas de faire un bilan. Bien au contraire, « Les Raynaud de Raynaud » est une exposition manifeste, à caractère rétrospectif si l’on veut, mais une rétrospective dynamique, vivante et prospective !
C’est la mise en perspective d’une projection individuelle, d’une liberté. C’est aussi une nouvelle appréhension de l’œuvre et de l’art dans un contexte mondial en pleine mutation.
Sens interdit, pots de fleurs, carreaux de faïence… Comment rapprochez-vous ces objets pour le moins inattendus ?
Par le fait que ce sont tous des objets. Depuis 1962, je ne travaille qu’avec des objets. Le premier dont je me suis saisi était un panneau de sens interdit fixé sur un poteau en bois que j’avais récupéré dans une décharge. En guise de manifeste, j’ai simplement fait passer le poteau devant le panneau émaillé. J’avais vingt-trois ans, et j’ai voulu ainsi marquer mon territoire.
Depuis lors, je n’ai utilisé que de véritables objets, c’est-à-dire que je ne me suis jamais placé du côté de l’interprétation. Que ce soit le pot, le carrelage ou le drapeau, ce ne sont jamais pour moi des images : ce sont des objets.
Quand vous parlez des « objets », faites-vous référence à leur valeur d’usage ou à leur plasticité ?
Je travaille avec des objets qui sont très chargés et dont la force du signe est radicale. Le sens interdit, par exemple, signale une interdiction absolue, pure et dure. Et cette notion d’interdit m’a immédiatement fasciné, et j’ai aussitôt cherché à m’en affranchir.
Autrement, les objets que j’ai employés sont tous fortement inscrits dans la société, dans une situation de face-à-face, voire de violence vis-à-vis de l’individu. Cela s’est imposé très tôt comme mon sujet d’inspiration.
Vous travaillez avec le drapeau depuis une dizaine d’année. Comment cela est-il advenu ?
Le drapeau m’est apparu après trente-cinq ans de pratique, à un moment où je me demandais si j’avais encore quelque chose à vivre dans l’art.
Je voulais éviter de mener un combat de trop. Puis, un jour, j’ai trouvé mon sujet et il m’est apparu que la seule chose qui pouvait me stimuler à continuer, c’était de travailler avec les drapeaux. Ça a été comme une libération, une seconde vie, je pressentais intuitivement qu’il y avait là quelque chose de très fort à faire...
Saviez-vous où le travail sur le drapeau allait-il vous conduire ?
Non. C’est cela qui est excitant. Je préfère me poser des questions que chercher à apporter des réponses.
Ce qui m’intéresse, c’est d’avancer, et non de trouver des solutions. L’important, c’est être actif et productif, tant pour soi que pour les autres.
Vous souhaitez produire pour vous et pour les autres. Cela n’est-il pas contradictoire avec votre démarche très individualiste ?
Contrairement à ce que l’on pense, il y a dans mon travail une réelle dimension humaniste. Si on le regarde attentivement, on se rend compte qu’il traite essentiellement de la vie, de la vie ordinaire tout simplement.
1939 Naissance à Courbevoie. 1958 Diplômé de l’école d’horticulture. 1963 Il travaille à ses premiers « psycho-objets ». 1970 Le pot de fleurs sera exposé à Jérusalem, Londres, Düsseldorf et New York. 1974 Ouverture de la maison blockhaus, un bloc de faïence percé d’une fenêtre et de deux portes blindées. 1983 Grand prix national de la Sculpture. 1991 Une rétrospective voyage à Houston, Chicago et Montréal. 1997 Il est fait chevalier de la Légion d'Honneur. 2006 Vit et travaille dans son atelier de La Garennes-Colombes (92).
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Jean-Pierre Raynaud : « Mon travail traite de la vie ordinaire tout simplement »
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques « Les Raynaud de Raynaud » se tient au musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice, du 25 mars au 10 septembre 2006. Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10 h à 18 h, sauf le dimanche de Pâques. Tarifs : 4 € et 2,50 € (entrée musée gratuite les 1er et 3e dimanches de chaque mois). Visites commentées tous les mercredis à 16 h : 3 €/1,50 €. MAMAC : Promenade des Arts 06300 Nice. Tél. 04 93 62 61 62. www.mamac-nice.org
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°579 du 1 avril 2006, avec le titre suivant : « Mon travail traite de la vie ordinaire tout simplement »