BRUXELLES / BELGIQUE
Le temps de trois expositions et d’un parcours citadin, la capitale belge s’ouvre à l’univers poétique de cet artiste protéiforme.
Bruxelles (Belgique). Il en va de Jean-Michel Folon (1934-2005), comme de tous ces artistes au style immédiatement reconnaissable qui ont connu la notoriété par les couvertures de magazine, les affiches et les produits dérivés : il se confond avec ses peintures les plus emblématiques. À Bruxelles, trois expositions et une promenade permettent de découvrir toute la diversité d’un travail méconnu dans sa globalité.
Même si les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, les affinités entre Jean-Michel Folon et René Magritte sont nombreuses. Tous deux explorent les espaces du rêve et de l’imaginaire mais suivant des démarches assez différentes, dans la douceur des couleurs et la poésie des signes chez le premier, dans le questionnement et la confrontation des sens chez le second. Autre ressemblance : l’homme en bleu de Folon et l’homme au chapeau boule de Magritte. Tous deux sont des personnages génériques, des silhouettes de monsieur Tout-le-monde qui peuplent des images paysages.
Le Musée Magritte accueille une trentaine d’œuvres de Jean-Michel Folon insérées tout au long du parcours. Les deux artistes partagent un goût pour la métamorphose de la matière et l’hybridation des objets et du paysage, de même qu’une certaine théâtralité de la composition. C’est au milieu des années 1960, lorsque Folon abandonne petit à petit la primauté du dessin et du trait à l’encre noire sur papier blanc en faveur d’un travail plus atmosphérique avec des encres de couleur, puis avec l’aquarelle, que les affinités avec l’univers de Magritte se font plus évidentes. Les similitudes peuvent parfois être troublantes entre deux œuvres mises côte à côte, dans la thématique comme dans la forme.
Vers 1962, Jean-Michel Folon rencontre Giorgio Soavi, écrivain italien et directeur artistique de la société Olivetti qui était alors un des leaders mondiaux dans la fabrication de machines à écrire et à calculer. D’une première commande naît une amitié profonde et une collaboration de plus de trente ans entre Folon et l’entreprise italienne. Il faut dire que l’artiste s’est senti particulièrement bien accueilli chez Olivetti qui, dès ses débuts, a voulu intégrer l’éducation à l’art à sa culture d’entreprise. Ainsi sur le site de l’usine d’Ivrea, en Italie, on trouvait aussi bien des crèches que des bibliothèques et des centres culturels.
L’exposition que le Design Museum consacre à cette collaboration montre finalement peu d’affiches strictement publicitaires, mais plutôt des objets et des dessins qui témoignent de la liberté artistique et du plaisir d’expérimenter dont disposait Folon chez Olivetti. Il en a profité pour mettre en images ses inquiétudes et ses questionnements sur les rapports entre l’homme et la machine, ou entre l’homme et la ville, comme on peut le voir dans les dessins réalisés pour l’agenda annuel offert au personnel et aux clients dès 1969. L’exposition présente aussi Le Message, un film d’animation réalisé à partir des dessins créés pour accompagner l’aménagement du showroom parisien d’Olivetti par l’architecte designer Gae Aulenti.
C’est aussi la force du réseau d’Olivetti dans le monde qui a permis à l’artiste de présenter de grandes expositions à Tokyo et à New York ou de réaliser une fresque murale à la gare Waterloo de Londres.
Dans la maison Autrique (à Schaerbeek), au fil des étages et des pièces de la demeure dessinée par l’architecte belge Victor Horta, on découvre des objets qui témoignent du quotidien de Folon. Dans la cuisine sont rangées des théières, des cruches à lait et de la vaisselle chinées sur les marchés et brocantes. Dans une bassine à linge, des battoirs en bois, repeints d’un visage. Dans le cellier reposent des bouteilles de vin dont il a dessiné les étiquettes. Au porte-manteau de la chambre à coucher, des chapeaux, une gabardine, des souliers et un sac comme s’il revenait de voyage. Et dans une armoire-vitrine, des jouets, boîtes d’allumettes, jeux de cartes, flacons et dominos que ce collectionneur compulsif a rassemblés. Ce qui fait l’intérêt de cette exposition, c’est aussi d’y découvrir des œuvres peu montrées qui confirment l’éclectisme de Folon et l’intégration dans son univers poétique de différentes techniques que sont la céramique, les tapisseries d’Aubusson, la sculpture ou la photo.
Ce qui ressort de ces trois expositions, c’est la grande cohérence thématique qui traverse l’œuvre de Folon quelles que soient les périodes ou les techniques utilisées. Sans pour autant se répéter, il semble agrandir les limites de son univers comme un explorateur qui trace son chemin à la pointe de son pinceau.
Artiste populaire, moins lisse qu’il n’y paraît, Folon a toujours apprécié d’intégrer ses œuvres à l’espace public. C’est pourquoi une vingtaine de sculptures en bronze ont, en outre, été disséminées dans différents lieux de la capitale belge et réunies en un parcours « Sculptures Walk ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°632 du 26 avril 2024, avec le titre suivant : Jean-Michel Folon réenchante Bruxelles