Jean-Michel Bouhours : « En France, Salvador Dalí­ a été réduit à des pitreries »

Vincent Noce : Plus de trente ans après la première rétrospective Dalí au centre Pompidou, qu’y a-t-il de changé ?
Jean-Michel Bouhours  : D’abord, l’artiste n’est plus là, cela change tout. Il n’est plus dans l’imaginaire collectif tel qu’il était à l’époque. Il était devenu une star qu’on voyait partout à la télévision, y compris dans des messages publicitaires. Aujourd’hui, nous pouvons prétendre avoir un nouveau regard sur l’œuvre, d’autant que des parties restées dans l’ombre ont été redécouvertes par nos amis espagnols, notamment sa production des années 1920, avant la rencontre avec André Breton.

V.N. : Sa première rétrospective à New York date de 1941. En France, il a fallu attendre près de quarante ans. Y a-t-il une désaffection spécifiquement française vis-à-vis de Salvador Dalí ?
J.M.B.  : Il y a en tout cas une perception française du personnage, qui a été connu surtout par l’entremise des médias. Il avait une capacité innée à les manipuler, plus qu’eux ne parvenaient à le manipuler lui. Ce n’est pas ce qui pouvait bénéficier le plus à son image, qui a été réduite à des pitreries.

V.N. : On lui a reproché aussi ses positions politiques, ou encore ses mensonges sur son passé… J’ai le sentiment que ce débat a pris une tournure plus aiguë en Espagne, où ses compromissions avec Franco ne pouvaient être acceptées. Quant à la question du vrai et du faux, elle ne se pose pas pour un Dalí. Il est en dehors de ce débat, il construit un mythe. Avez-vous la possibilité de montrer l’œuvre au-delà du mythe ? Les musées se séparent-ils facilement d’œuvres aussi populaires ? Nous avions par exemple trouvé un téléphone aphrodisiaque au Musée du téléphone à Hambourg. Mais c’est leur pièce maîtresse, il ne peut être question pour eux de s’en séparer. Finalement, nous nous sommes adressés au musée de Minneapolis.
J.M.B.  : Nous avons eu quelques difficultés, mais nous avons pu emprunter à des collections aussi différentes que la Tate à Londres et le Boijmans à Rotterdam, pour parvenir à montrer deux cents peintures, dessins, sculptures, films, objets, car nous voulons présenter l’œuvre dans toutes ses dimensions, notamment celles qui lui ont permis de faire le lien avec une nouvelle génération d’artistes à partir des années 1960. Nous avons travaillé avec le Musée Reina Sofía, qui est dépositaire de son legs et représentera l’exposition à partir d’avril 2013. Nous avons conclu un contrat avec la Fondation Dalí, à Cadaqués, et le Musée Dalí de Saint Petersburg, en Floride, qui ont des fonds très riches.

V.N. : Et le MoMA ? Les fameuses montres molles seront-elles au rendez-vous ?
J.M.B.  : Bien sûr, il y aura La Persistance de la mémoire, où elles apparaissent en 1931, et par ailleurs des peintures aussi importantes que Le Grand Masturbateur (1929) ou Le Spectre du sex-appeal (1934).

V.N. : Vous êtes spécialiste du cinéma, pouvez-vous dire un mot de cette section ?
J.M.B.  : Le cinéma est très présent, ainsi que la télévision. On sait qu’il a essayé, sans Buñuel, de faire des films. À chaque fois, cela s’est soldé par un échec ou un semi-échec. Il a alors changé de stratégie après la période américaine, pour apparaître à la télévision. À partir des années 1950, il s’en emparait pour faire un show. Dalí est devenu une bête de scène. Mais il y a aussi deux programmes évoquant ses happenings avant la lettre et ses créations d’objets éphémères, des projets pour le théâtre, la reconstitution de la chambre de Mae West…, tout ce qui rend compte de l’intensité de l’activité de cet homme de spectacle qu’était Dalí, et sur lequel nous pouvons jeter un œil nouveau.