PARIS - « Il nous importe peu de considérer Labrouste comme un simple précurseur de la modernité […] ; il nous semble plutôt que les questions qu’il avait soulevées et les réponses qu’il y avait apportées étaient très pertinentes en leur temps, qu’elles n’ont cessé de l’être depuis et que c’est précisément pour cette raison que son œuvre a passionné des générations d’architectes et d’historiens », argue le trio de commissaires au sujet du père de la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris.
Et de citer les noms d’Hugo, de Delacroix et de Berlioz pour mieux situer l’importance de cet « artiste d’avant-garde » qu’était Henri Labrouste (1801-1875). Comme si elle prenait exemple sur le rationalisme de l’architecte, l’exposition de la Cité de l’architecture et du patrimoine fait l’économie de poncifs paresseux. Henri Labrouste aurait pu être un « architecte de génie, entre tradition et modernité ». Il est présenté comme un homme de son époque, usant avec intelligence des derniers progrès technologiques qui s’offraient à lui pour imaginer une nouvelle façon d’appréhender l’espace.
Outils modernes
Cinq grandes feuilles originales restituant les temples de la cité antique grecque Paestum ouvrent le parcours et introduisent le propos : dès son quatrième envoi de Rome, le jeune pensionnaire à la Villa Médicis ose sortir du moule. Sa vision romantique d’un Paestum usé par le temps choque les idéalistes et crée une controverse sans précédent. Conforté par ce séjour italien, Labrouste persiste dans sa conception d’une architecture reliée à son contexte géographique et historique et portant les aspirations d’une société en marche. La bibliothèque Sainte-Geneviève est en ce sens son chef-d’œuvre, le projet dans lequel le cœur de Labrouste bat encore. Maquettes, dessins, photographies et dispositifs vidéo illustrent les efforts de l’architecte pour créer un univers résonnant sur les plans sensoriel et psychologique. Or l’idée d’une bibliothèque publique est paradoxale : comment créer un espace collectif destiné à un usage individuel ? Labrouste s’y est attaqué avec les outils modernes en jouant des contrastes : la structure en fer et en fonte autorise de fines colonnes aussi puissantes qu’aériennes ; l’espace est rythmé par la pénombre et la lumière ; chaque bureau possède son périmètre individuel sans nuire à l’harmonie d’ensemble ; l’architecture cite l’antique dans des matériaux contemporains ; les décors peints invitent l’extérieur à l’intérieur… Avec pertinence, cette fameuse pertinence mentionnée plus haut par les commissaires, l’architecte réussit à inspirer un sentiment d’intimité dans un large espace. Interrogé par le commissaire Barry Bergdoll dans le film d’entretiens avec des architectes d’aujourd’hui diffusé en conclusion du parcours, David Van Zanten, professeur à la Northwestern University, s’enthousiasme pour la poésie de Labrouste et compare le bruit des pages tournées par les lecteurs à celui du vent bruissant dans les arbres du décor peint…
Dans l’atelier qu’ouvre Labrouste en 1830 défileront près de quatre cents élèves français et étrangers. Nombreux furent ceux à se rallier à cette école du rationalisme en architecture, à commencer par Viollet-le-Duc. La dernière séquence, consacrée aux projets des suiveurs, démontre l’influence durable de son enseignement, et le statut matriciel de son modèle de bibliothèque que l’on retrouve dans le travail des Américains McKim, Mead & White pour la Boston Public Library.
Signalons enfin la possibilité de découvrir le parcours parallèle de son contemporain Victor Baltard (1805-1874), auquel le Musée d’Orsay consacre une exposition jusqu’au 13 janvier 2013. Les deux architectes ont pour points communs une carrière marquée par un séjour italien à la faveur des études à la Villa Médicis (1834-1838), la participation au concours pour le tombeau de Napoléon aux Invalides et l’utilisation de matériaux novateurs. Ami d’enfance du baron Haussmann, Baltard s’engagera dans le renouveau urbain de la ville de Paris. C’est dire si la démolition en 1971 de sa réalisation la plus célèbre que sont les Halles de Paris ne manque pas d’ironie.
Jusqu’au 7 janvier 2013, Cité de l’architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot, 1, place du Trocadéro, 75116 Paris, tél. 01 58 51 52 00, www.citechaillot.fr, tlj 11h-19h sauf mardi, 25 déc. et 1er janvier, 11h-21h le jeudi.
Catalogue : 42 €.
- Commissaires : Barry Bergdoll, conservateur au département architecture et design du Museum of Modern Art, New York ; Corinne Bélier, conservatrice en chef, Musée des monuments français, Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris ; Marc Le Cœur, historien de l’art, chargé de recherches à la Bibliothèque nationale de France, Paris
- Itinérance : 10 mars-24 juin 2013, Museum of Modern Art, New York
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Henri Labrouste, homme de contrastes
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Henri Labrouste, homme de contrastes