VILLENEUVE-D'ASCQ
« Danser brut », à l’affiche du LaM, s’intéresse à la dimension brute de l’expression des corps, aux mouvements de danse qui peuvent aller jusqu’ à la possession.
Villeneuve-d’Ascq. Rondes, manèges, tournoiements, danses de possession, transes graphiques, danses du crayon. « Danser brut » emporte le visiteur dans un maelström d’œuvres en mouvement telles les sculptures de guingois du paysan et sabotier Émile Ratier. D’autres figurent le mouvement à l’exemple des figurines dansantes de Louise Tournay et des dessins d’Helmut Nimczewski représentant des manèges plantés sous des soleils hypnotiques. De nombreux extraits de films sont diffusés sur écran, comme celui de l’étrange et ensorcelant Paracelsus (1943) de George Wilhelm Pabst décrivant un danseur qui parvient à entraîner, dans son sillage, parfois jusqu’à la mort, des centaines de personnes dans une épidémie de danse frénétique. L’événement avait été relaté, au XVIe siècle, par le médecin et alchimiste Paracelse qui évoquait ces étranges danses de saint Guy recensées à Strasbourg durant l’été 1518. Dans Les Temps modernes, Charlot, ouvrier d’usine, devenu le rouage d’une chaîne folle, en vient à perdre la raison, de même que Louis de Funès, alias M. Septime, le patron du Grand Restaurant (qui donne son titre au film) qui entraîne tout son personnel de salle dans des ballets hectiques.
À l’image d’« Habiter poétiquement le monde » et de « L’Autre de l’art », à l’affiche du LaM ces dernières années, « Danser brut » est une exposition transversale. Une exposition transversale captivante et envoûtante qui se propose d’explorer un nouveau territoire : celui des liens entre l’art brut et certaines formes de danse, en lançant au passage quelques passerelles en direction de l’art contemporain et du cinéma.
L’exposition réunit plus de trois cents pièces : extraits de films, dessins, sculptures et photographies. Des photos notamment du fabuleux manège de Petit Pierre, créé dans un petit village du Loiret avant d’être transplanté dans le parc du musée de la Fabuloserie, à Dicy dans l’Yonne. C’est en 1937 que Pierre Avezard, ce garçon vacher sourd-muet, avait commencé à construire un manège qu’il ouvrait au public tous les dimanches. L’objet était comme un prolongement, une prothèse de son corps, remarquait le critique d’art Laurent Danchin dans un entretien filmé par Philippe Espinasse (2012).
Cette même impression de mouvement, de transe graphique est perceptible dans les dessins spirites d’Augustin Lesage qui disait peindre en se laissant guider par les esprits. « Leur facture a quelque chose du vol de l’oiseau qui fait quelques loopings dans cette semi-liberté accordée au règne animal »,écrit Anne Boissière, professeure d’esthétique à l’université de Lille-III et directrice du Centre d’étude des arts contemporains, dans le catalogue de l’exposition.
Une des sections les plus étonnantes, celle intitulée « La danse des crayons », comprend une bonne dizaine de dessins du danseur et chorégraphe Vaslav Nijinski, exécutés à partir de 1917, après qu’il eut arrêté de danser. On retrouve dans ses formes circulaires rouges et bleues, dans ses enchevêtrements de lignes, dans ces globes oculaires aux pupilles dilatées, le caractère obsessionnel et compulsif des créations brutes. Les crayons de Nijinski ont pris le relais du corps dansant.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°513 du 14 décembre 2018, avec le titre suivant : Épidémies de danses