Les prochains mois pourraient être décisifs pour l’avenir de Pompéi. En effet, répondant à l’appel lancé par Piero Guzzo, le surintendant attaché au site, cent vingt archéologues italiens, français, anglais, allemands, espagnols, néerlandais et américains se sont réunis au mois de mars pour décider des moyens à mettre en œuvre pour préserver au mieux Pompéi. Andrew Wallace-Hadrill, directeur de la British School à Rome, est l’un des quatre membres du comité chargé de piloter le projet de sauvegarde. Il évoque quelques hypothèses de travail, dont l’ensevelissement d’une partie du site et la construction d’un parc à thème, pour lutter contre les dégradations dues aux catastrophes naturelles, à l’érosion et au tourisme de masse.
Quels sont les problèmes auxquels vous devez faire face ?
Andrew Wallace-Hadrill : Le problème fondamental qui se pose à Pompéi tient à l’étendue du site (70 hectares). Quand des archéologues exhument une ville entière, il tombe sous le sens que l’on ne parvient pas à tout y sauvegarder. Les ressources nous font cruellement défaut, mais nous manquons également de perspectives à long terme. Tant que l’on cherchera à préserver la ville de Pompéi en la laissant ouverte à tous les vents, on sera condamné à l’échec. Il faut également savoir dans quelle intention on entend conserver le site. Le garde-t-on afin que les historiens des générations futures continuent à l’interpréter et à le réinterpréter ? S’agit-il d’un lieu à vocation uniquement touristique ? La conservation pose toutes sortes de problèmes de principe. Selon moi, le véritable désastre, doublement funeste, c’est de ne pas maintenir l’ensemble comme il le faudrait et de ne pas publier de textes significatifs à son sujet. Si l’on commentait de façon intelligente le résultat des fouilles au fur et à mesure de leur déroulement en publiant les conclusions qu’elles inspirent, il subsisterait alors des traces du travail accompli et l’on pourrait décider de la suite à donner aux opérations.
Il y a bien des manières de concevoir la conservation. La première, celle qui a été appliquée jusqu’ici à Pompéi, consiste à recourir à des techniques complexes pour donner au public une impression aussi réaliste que possible de l’aspect originel de la ville. Toutefois, cette approche est destructrice car elle dissimule les témoignages d’époque sous des couches de maçonnerie récente. La seconde méthode, qui nous paraît grandement préférable, est de maintenir en l’état ce qui a été mis au jour et d’éviter les interventions abusives. C’est à la fois moins coûteux et plus honnête. La troisième, aussi surprenant que cela puisse paraître, conduirait à refermer le chantier, à tout enfouir à nouveau sous les précieux lapilli, en songeant à l’avenir. Ces déchets volcaniques constituent un matériau merveilleux, le meilleur que l’on connaisse pour préserver Pompéi. Au lieu de nous en débarrasser, il serait plus judicieux de les utiliser pour recouvrir une partie du site à l’intention des générations futures.
Quelle méthode adopter ?
Les trois solutions ont leurs mérites. Je ne suis pas partisan d’utiliser une méthode unique pour le site tout entier. La préservation de Pompéi est menacée par trois dangers : les catastrophes naturelles, l’érosion et le tourisme. À l’heure actuelle, deux millions de visiteurs y viennent chaque année, dont 60 % de groupes scolaires. Nous avons souvent plus de visiteurs que Pompéi a jamais compté d’habitants. Comment canaliser, satisfaire et informer les dizaines de milliers de personnes qui viennent quotidiennement ?
On pourrait envisager la création d’un parc à thème, une sorte de Disneyland, ou plutôt une reconstitution du genre de vie que l’on menait dans la région au premier siècle de notre ère, à la manière de ce qui a été entrepris dans la ville américaine de Williamsburg, en Virginie, où les habitants en costume du XVIIIe siècle exercent les activités artisanales de l’époque et vendent leurs produits. Si, au lieu d’encourager les promeneurs à visiter les plus belles villas pompéiennes, on choisissait la partie la plus abîmée de la cité, celle que deux siècles d’abandon ont ruinée, et que l’on y reconstituait "la vie à la romaine" – avec des figurants en toge servant des rafraîchissements dans des buvettes – en y évoquant les travaux accomplis par les esclaves, ou d’autres activités, on parviendrait peut-être à détourner l’attention du public et à éviter qu’il ne parcoure les secteurs les plus fragiles de Pompéi.
La recherche a-t-elle fait des avancées significatives au cours des dernières années ?
Je dirais que nous sommes à l’aube d’une révolution dans notre compréhension du développement historique de la ville. Pour prendre un exemple, alors que nous nous préoccupions de la restauration de huit îlots de maisons endommagées par le tremblement de terre de 1980, nous avons relevé les traces d’une série de maisons bâties en terrasses qui se trouvaient recouvertes par des vignobles en l’an 79. D’autres fouilles ont révélé que des maisons supposées dater du Ve siècle avant notre ère étaient en réalité plus jeunes de trois siècles. Par ailleurs, on a retrouvé sous les maisons récentes des vestiges de structures plus précaires qui remontent à la période archaïque – ou présamnite –, soit six siècles environ avant notre ère.
L’idée que l’on se fait communément de Pompéi vient en droite ligne du milieu du siècle dernier [les fouilles systématiques ont débuté à partir de 1860]. Il convient donc de la réviser en usant des techniques de l’archéologie scientifique moderne et en replaçant le site dans le contexte plus vaste de l’archéologie italienne. Bien que la ville de Pompéi paraisse très familière, elle demeure pour l’essentiel inconnue. Au lieu de perpétuer de vieux mythes, on doit mettre les anciennes croyances à l’épreuve de façon rigoureuse. Pour ma part, je crois que les défis que nous posent la conservation et la réinterprétation du site vont de pair.
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Ensevelir Pompéi ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°29 du 1 octobre 1996, avec le titre suivant : Ensevelir Pompéi ?