PARIS
Sans occulter ses œuvres à la gloire de ses grands contemporains, la rétrospective du Musée du Luxembourg privilégie l’image du peintre au travail, dans une semi-retraite choisie.
PARIS - « Intimiste ». C’est le mot qu’emploie Laure Dalon, commissaire de l’exposition du Musée du Luxembourg, pour qualifier l’angle sous lequel est abordé le peintre Henri Fantin-Latour (1836-1904), pourtant essentiellement connu du grand public pour ses portraits de groupe d’artistes et intellectuels de son temps. Ces œuvres phares sont là – Hommage à Delacroix, Un atelier aux Batignolles, Coin de table (avec les célébrissimes portraits de Verlaine et Rimbaud) –, mais elles ne sont que des étapes dans ce qui est montré de la carrière du peintre. C’est que la perspective chronologique se double naturellement, pour Fantin-Latour, d’un ordonnancement thématique, étant passé, tout au long de sa vie, d’un thème d’inspiration à l’autre.
Il ne s’agit pas ici d’une rétrospective dans la lignée de celle présentée au Grand Palais en 1982-1983, sous la direction de Michel Hoog. On y voyait alors tous les aspects de la carrière du peintre, et notamment celui qui a fait, de son temps, une bonne part de sa célébrité : le portrait mondain, un genre lucratif mais insatisfaisant pour un homme de « nature délicate et farouche », tel que l’a décrit son biographe Léonce Bénédite. Un cauchemar pour l’artiste, qui dut embellir une lady anglaise qui voulait se revoir telle que vingt ans auparavant et se plier à la conversation mondaine de la très spirituelle mademoiselle de Biron – dont on osa, plus tard, découper le portrait pour l’inscrire dans un cadre ovale.
Au contraire, les portraits présentés au Luxembourg sont ceux de la famille et d’amis, décrits sans fioritures, dans ce silence très particulier qui rapproche la peinture de Fantin-Latour de celle de Chardin. Dans une ambiance assez sombre, ces portraits traités comme des scènes de genre et largement commentés dans les cartels installent une atmosphère recueillie. Ils entrent en résonance avec les peintures de fleurs, dont Fantin-Latour est l’un des maîtres et qui lui ont permis de gagner sa vie grâce à l’engouement des Anglais pour ce genre. Ces choix, ainsi que celui de présenter de nombreux autoportraits, rapprochent l’exposition de celle qu’avait organisée la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne, en 2007. La différence est la présence pour la première fois de photographies que collectionnait le peintre. Dans l’un des deux petits espaces consacrés à « Fantin au travail », est abordé le thème de ses nus, particulièrement présents dans la dernière période de sa vie. À travers eux est soulignée l’importance de la photographie pour cet homme dont l’un des plaisirs, dans sa maison de campagne de Normandie, était de sortir avec son petit Kodak.
Photographies de nus
Malgré plusieurs biographies écrites de son vivant ou peu après sa mort, on sait peu de chose de la vie du peintre. Alors même que ses biographes racontent les sorties de la petite bande de rapins à laquelle il appartenait dans sa jeunesse et sa fréquentation des cafés où il a rencontré plusieurs de ses amis, son existence paraît avoir été celle d’un ermite uniquement préoccupé de son art. Ses lettres décrivent largement cet état d’esprit, et le peu que l’on sait de son quotidien conjugal, auprès d’une femme peintre de talent et toute dévouée, ne correspond pas à ce que l’on imagine d’une vie d’artiste. Le portrait de Victoria Dubourg, à 36 ans, peint quelques mois après leur mariage succédant à des années de fiançailles, est parfois perçu par les visiteurs de l’exposition comme étant celui de la mère du peintre… La seule figure féminine un peu romanesque de son entourage est celle de sa belle-sœur, Charlotte Dubourg, et Michel Hoog a pu noter « la complicité muette entre Fantin et sa jolie belle-sœur ». La vie que s’était organisée le peintre, « sauvage et ombrageux » selon Léonce Bénédite, excluait tout croquis de nu volé à une épouse ou à une conquête, et Fantin avait même renoncé à faire appel à des modèles professionnels. Mais il avait un stratagème : des centaines de photographies de nus achetées à des marchands pour peintre ou sous le manteau, lorsqu’elles étaient plus licencieuses. Découvertes en 1936 lors de l’ouverture d’un carton d’archives et étudiées seulement récemment, elles montrent pour la première fois au public que le peintre s’en est largement inspiré pour ses « féeries » et toutes les œuvres qui faisaient son succès à la fin de sa vie, ondines, almées ou Vénus, « tout un monde de baigneuses et de chasseresses, prétextes à de molles et délicates nudités », telles que décrites par Léonce Bénédite. Les photos et croquis font écho à La Nuit (1897) ou au Lever (1898), visions d’un peintre « arrivé », osant enfin dire [dans une correspondance] : « Je me fais plaisir ».
Commissaires : Laure Dalon, conservatrice à la Réunion des Musées nationaux ; Xavier Rey, conservateur au Musée d’Orsay ; Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble
Nombre d’œuvres : 123
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Dans l’intimité de Fantin-Latour
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 12 février 2017, Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 40 13 62 00, museeduluxembourg.fr, tlj 10h30-19h, 22h le vendredi, entrée 12 €. Catalogue, 35 €.
Légende Photo :
Henri Fantin-Latour, La Nuit, 1897, huile sur toile, 61 x 75 cm, Musée d’Orsay, Paris. © Photo : RMN (musée d’Orsay)/Hervé Lewandowski.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : Dans l’intimité de Fantin-Latour