PARIS
On connaît Machu Picchu, symbole de la civilisation inca. Mais cet empire, qui n’a duré qu’un siècle, s’est constitué sur un berceau de civilisations moins connues, dont l’exposition « Machu Picchu et les trésors du Pérou », à la Cité de l’architecture, retrace 3 000 ans d’histoire.
Sans lui, le Soleil aurait disparu à jamais. Ai Apaec est un héros mythologique majeur de la culture mochica, qui se développe sur la côte nord du Pérou entre 100 et 800 ap. J.-C., à peu près en même temps que l’empire romain en Europe. À partir de ses nombreuses représentations, on a pu reconstituer son épopée pour sauver le Soleil, dont les habitants de l’ancien Pérou constatent la disparition chaque soir dans l’océan. Ai Apaec, reconnaissable à ses boucles d’oreilles en forme de serpent, animal qui peut se faufiler dans le monde souterrain des morts et des ancêtres, a des crocs de félin qui disent sa puissance terrestre et une coiffe rehaussée de plumes lui donnant le pouvoir de voyager dans le monde d’en haut, celui des divinités, qui parvient à le sauver. Grâce à lui, le Soleil revient pour éclairer la Terre et permettre aux cultures de pousser. Ce masque funéraire qui le représente indique l’identité d’ancêtre du chef défunt qu’il accompagne : ce dernier va se transformer en Ai Apaec dans le monde souterrain des morts pour continuer d’assurer la protection de son peuple.
Dans la culture andine, la rencontre de forces opposées qui se complètent – comme la Lune et le Soleil, l’homme et la femme, le chaud et le sec, le haut et le bas – crée quelque chose de nouveau, le « tinkuy », générant la vie et l’harmonie. Les quatre panneaux de cet étendard, dont les couleurs bleu et jaune s’opposent deux à deux, renvoient à cette dualité complémentaire. Le jaune représente le Soleil, la terre aride. Le bleu turquoise, l’eau et le ciel. Formé de milliers de plumes de guacamayo, un oiseau aux plumes flamboyantes originaire des forêts amazoniennes, cet étendard fait partie d’une offrande au désert, composée d’un ensemble de 96 bannières, pliées dans des jarres en céramique pour être enterrées dans le sable. Découverte par hasard en 1943, elle a pu être offerte par les communautés agricoles de la culture huari, au sud du Pérou, à des puissances sacrées, afin d’invoquer le jaillissement de la vie à travers d’abondantes cultures ou l’équilibre entre les forces naturelles, en cas de sécheresse ou de déluge.
Quel est cet étrange animal ? Difficile à dire. De fait, il est surtout une image du monde. Par son motif à trois niveaux, la crête qui couronne sa tête donne à contempler la connexion entre les trois mondes de la cosmovision andine. Le monde d’en haut, celui des dieux, symbolisé généralement par un oiseau – capable d’atteindre le ciel et d’aller au plus près du Soleil –, est le lieu des forces naturelles, considérées comme sacrées : la pluie, le vent, le tonnerre, le Soleil. Celui d’en bas, monde des morts et des ancêtres, représenté par le serpent, qui a la capacité de se faufiler sous terre, apparaît humide et sombre. Enfin, le monde terrestre, d’ici et maintenant, est en connexion avec les deux autres mondes. Son animal : le félin, dont l’œil est ici figuré par une incrustation. Mais à l’arrière de cet œil, on peut distinguer… un bec, qui le transforme aussi en tête d’oiseau, animal du monde d’en haut. Quant à la spirale qui termine la crête, elle symbolise la continuité des cycles… mais aussi le serpent !
Pour assurer l’harmonie dans le monde d’ici et maintenant, les hommes doivent être en relation avec les mondes des dieux et des ancêtres, qu’ils doivent honorer par des offrandes, des cérémonies, des rituels rythmant la vie agraire. « Les colères divines se manifestent par des catastrophes naturelles comme des tremblements de terre ou encore le phénomène El Niño, qui se traduit, quand il survient sur les côtes nord du Pérou, par des pluies torrentielles sur le littoral et des sécheresses dans les Andes », explique Carole Fraresso, co-commissaire de l’exposition « Machu Picchu et les trésors du Pérou ». Quand cela se produit, les chefs, considérés comme des demi-dieux, apparaissent avoir failli dans leur mission d’assurer l’harmonie en ce monde. Il leur faut alors la rétablir par un sacrifice. Cette céramique donne à voir la grande cérémonie mochica du sacrifice, au cours de laquelle sont égorgés les meilleurs guerriers mochicas. Sur la scène du bas, des prêtresses et des sacrifiants s’apprêtent à récupérer dans une coupe cérémonielle le sang des guerriers égorgés. Dans la scène du haut, qui se situe dans le monde des divinités, une prêtresse apporte la coupe à une divinité rayonnante.
Ce trousseau funéraire, qui ornait la dépouille d’un des neuf empereurs chimu – cette civilisation qui supplanta les Mochicas pour un empire s’étendant jusqu’à la frontière équatorienne, entre 900 et 1300 – est une pièce unique. Conservé au Musée Larco, à Lima, il est le seul à nous être parvenu complet et témoigne du savoir-faire exceptionnel des orfèvres chimus, qui ont élaboré cet ensemble à partir de feuilles de métal martelées pour ne mesurer qu’un millimètre ou moins d’épaisseur. « Aujourd’hui, il serait presque impossible de réaliser une telle prouesse », commente Carole Fraresso. L’or, pierre sacrée qui fait référence à la sueur du Soleil – alors que l’argent est considéré comme la larme de la Lune – signale le pouvoir souverain des gouvernants. Le grand pectoral ainsi que les épaulettes, les disques d’oreilles et les plumes de couronne exhibent ainsi l’image répétitive d’un grand seigneur ou d’un ancêtre, détenteur du pouvoir divin.
Recueillir, transmettre, enregistrer des dates, des biens, des denrées, des populations, des comptes, et même représenter, sous forme abstraite, des épisodes clés de récits historiques : telle est la fonction du quipu, système de comptabilité par des cordes à nœuds utilisé par les Incas pour l’administration de leur immense empire. Au XVe siècle, avec Pachacutec, premier empereur inca, l’empire s’étale sur plus de 5 000 km de long. Il était administré grâce à un réseau de 30 000 kilomètres de routes, reliant les sommets enneigés des Andes à la côte, en passant par des forêts tropicales humides, des vallées fertiles et des déserts. « L’une des plus grandes réussites de l’empire inca est sa logistique », explique Carole Fraresso. Machu Picchu, citadelle perchée à plus de 2 400 m d’altitude, entourée de montagnes tutélaires, est une des manifestations de la réussite politique de l’empire : elle constitue le point de départ des messagers de l’Inca, considéré comme le descendant direct du Soleil. La rapidité et l’efficacité des messagers qui parcourent l’empire en se relayant sont devenues légendaires.
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Comprendre les trésors du Pérou
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°754 du 1 mai 2022, avec le titre suivant : Comprendre les trésors du Pérou