SCHWÄBISCH HALL / ALLEMAGNE
Les 200 œuvres choisies par la Kunsthalle Würth dans la collection du Musée d’art moderne de la Ville de Paris offrent un résumé de la création en France principalement pour la période d’avant-guerre.
Schwäbisch Hall. Ne dites pas à un Allemand que vous ne connaissez pas Reinhold Würth. L’homme, qui est à la tête d’une collection d’environ 18 000 œuvres, est un immense industriel dont la notoriété outre-Rhin est égale à celle de François Pinault en France. Ses œuvres, qui vont du Moyen Âge allemand à l’art contemporain, sont déployées dans de nombreux musées qui lui appartiennent, dans son pays, mais également dans plusieurs autres pays européens. Un exemple parmi d’autres est le Musée Würth à Erstein, un village près de Strasbourg.
L’exposition, organisée en collaboration avec le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, a lieu à Schwäbisch Hall en Allemagne. Les excellentes relations qui existent entre les responsables allemands de la collection Würth et Fabrice Hergott, le directeur du musée parisien, sont à l’origine de cette manifestation. Et la fermeture partielle du musée parisien est en effet une bonne occasion de faire circuler ses richesses à travers le monde.
Cependant, pour un visiteur français, l’intérêt principal de la présentation (le choix des œuvres et leur mise en scène ont été confiés à Jacqueline Munck et Julia Garimorth d’une part et à Sylvia Weber et Beate Elsen-Schwedler de l’autre) reste la manière selon laquelle l’art, essentiellement réalisé en France, est présenté au public germanique. Ajoutons que cette démonstration est réalisée à partir d’une seule collection – avec ses points forts et ses lacunes. D’ailleurs, non loin de Schwäbisch Hall, au Musée Frieder Burda de Baden-Baden, c’est le Centre Pompidou qui s’expose. Manifestement, les liens culturels entre les deux pays sont au beau fixe.
Le début du parcours rappelle l’importance de Paris, à la fois comme « capitale artistique de l’Europe » durant les premières décennies du XXe siècle, mais aussi en tant que lieu représentatif de la culture et de l’art de vivre français. Cliché résumé par la phrase qui accueille le visiteur « Paris est toujours une bonne idée » (citation d’Audrey Hepburn extraite du film Sabrina) et dont le meilleur représentant reste Raoul Dufy et ses scènes bucoliques (La Terrasse sur la plage, [1907], L’Apéritif, [1908]). Puis, en toute logique, suivent les avant-gardes consacrées par l’histoire de l’art. Les « années fauves », avec Le Phare de Collioure d’André Derain (1905) ou Les Berges de la Seine à Chatou (Maurice de Vlaminck, 1906), toiles qui permettent d’accompagner les artistes dans leurs déplacements. Les cubistes, avec Braque, Picasso, ou encore une très belle sculpture de danseuse de Jacques Lipchitz (1913). Cette section se voit élargie et présente, sous le titre « Cubisme synthétique », Fernand Léger, Robert Delaunay, Albert Gleizes, Jean Metzinger ou André Lhote. Plus étonnante est la présence d’Auguste Herbin, dont les œuvres figuratives de cette période (Femmes et enfants, 1914) portent déjà les signes de son engagement futur dans l’abstraction géométrique.
Le chapitre suivant met en scène l’École de Paris, cette rencontre informelle entre les créateurs français et les artistes émigrés. Maurice Utrillo et Suzanne Valadon, Modigliani et Foujita, Marie Laurencin et van Dongen sont quelques exemples de cette forme de séduction, souvent pleine de charme. Une place à part est réservée à l’œuvre puissante de Soutine, dont le musée montre trois toiles.
Le surréalisme, le réalisme des années 1930 et des années 1950 – une formidable salle consacrée à Jean Fautrier, un Francis Gruber ou encore les trois immenses Bernard Buffet que le Musée d’art moderne continue à défendre contre vents et marées… il est impossible d’énumérer toute la sélection de chef-d’œuvres proposée ici. Mentionnons rapidement ceux réunis autour des galeries pionnières, Jeanne Bucher, Maeght, Denise René et les ouvertures vers un art plus récent, avant tout les Nouveaux Réalistes, mais aussi des travaux abstraits (Judit Reigl, Simon Hantaï, Aurélie Nemours ou une œuvre imposante de Buren).
Même si une telle rétrospective offre des choix discutables, le parcours est à l’image – sans en être l’image – d’un siècle d’une richesse artistique incomparable.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Comment l’Allemagne considère l’art du XXe siècle en France