Le Musée Granet offre une vision complète de l’œuvre du peintre rapportée à celles de Cézanne, Matisse, Manguin et Marquet. Il en montre aussi les limites.
Sur l’affiche de l’exposition « Camoin dans sa lumière », présentée au Musée Granet, à Aix-en-Provence, comme sur la couverture du catalogue, on retrouve la Jeune créole. Une jeune femme figurée à mi-corps et dont le visage est formé de taches de couleur aux contrastes étonnants. Un excellent choix, car il s’agit d’une des meilleures toiles de Charles Camoin (1879-1965). On est en 1904, et une œuvre comme celle-ci apporte la preuve que le fauvisme n’est pas né comme par miracle au Salon d’Automne de 1905. Curieusement, c’est un an avant la « consécration » de ce mouvement par la critique d’art que la peinture de Camoin apparaît la plus radicale. Madame Matisse faisant de la tapisserie, exposée ici, est un exemple surprenant d’expérimentation chromatique et spatiale.
Mises en parallèle
Toutefois, le Musée Granet ne se contente pas d’aligner les œuvres de Camoin. Si « des tableaux et des dessins inédits, les chefs-d’œuvre » sont présentés, il s'agit surtout, selon son directeur, Bruno Ely, de montrer « les mises en parallèle avec ses amis peintres, et non des moindres, la présentation pour la première fois de l’intégralité de sa correspondance avec Cézanne entre 1902 et 1906, font de l’exposition une manière originale d’aborder l’œuvre de ce peintre encore trop méconnu ». Une visée ambitieuse donc, qui prend pour prétexte le séjour de Camoin à Aix-en-Provence pendant son service militaire, ses nombreux retours dans cette ville et l’échange épistolaire avec Cézanne – d’ailleurs bien représenté dans la riche section documentaire. Par ailleurs, l’artiste est lié d'amitié avec Matisse, Henri Manguin et Albert Marquet, qui remonte à ses années d’apprentissage dans l’atelier de Gustave Moreau. C’est encore avec eux qu’il partage la célèbre salle VII en 1905.
La manifestation situe Camoin dans le contexte historique en replaçant dans le parcours les œuvres de ses amis fauves et celles de Cézanne. Toutefois, cette démarche ne se révèle pas toujours payante. Outre que les œuvres de Matisse et de Cézanne présentées ici ne sont pas de qualité exceptionnelle, il est paradoxal de vouloir affirmer la valeur de la production picturale de Camoin à l’aide du « réseau » auquel il appartient. Ainsi, Nature morte au paravent vert ou Jeune Marseillaise, qui datent de 1905, sont indiscutablement inspirées par Cézanne. Mais elles sont loin de sa puissance. De même, les travaux de Camoin s’éloignent rapidement de l’esthétique fauve. Non pas que sa peinture s’assagisse systématiquement – La Fille endormie (1905) est un nu représenté crûment, sous un angle audacieux. Cependant, des œuvres comme Jeune Napolitaine (1905) ou Femme à la bergère (1908), aux couleurs certes saturées, dénotent une composition plutôt classique.
La lumière de Tanger
Le parcours, chronologique, retrace les différentes étapes de la carrière du peintre et de sa vie personnelle. En 1908, Camoin fait la rencontre d’Émilie Charmy, une femme peintre peu connue en France, mais dont les quelques tableaux exposés au Musée Granet attestent d’un véritable talent – voir l’inquiétant Portrait de Charles Camoin assis (1908-1909). Il est probable que l’introduction du noir et des aplats bleu et vert foncé dans l’œuvre de Camoin soit liée à leur travail en commun. Puis, quelque temps après leur séparation, le peintre rejoint Matisse à Tanger. En prenant ce chemin, il entreprend un « pèlerinage » artistique en Afrique du Nord pratiqué par de nombreux artistes avant lui, parmi lesquels Paul Klee et August Macke. Attiré par la lumière blanche et par l’exotisme, Camoin peint, mais dessine également de nombreux paysages urbains, qui figurent la médina de Tanger et ses habitants. Les années de guerre n’ont pratiquement aucun impact sur son travail. Brancardier, puis enrôlé dans la section de camouflage, il continue à dessiner, essentiellement des scènes de vie des poilus.
De retour de l’armée, Camoin s’installe définitivement sur la Côte. Les œuvres regroupées dans la dernière section, dénommée « Azur », s’inscrivent dans la continuité des années d’avant guerre. Désormais, ni son style ni son sujet ne varient plus. Les bords de mer et les plages sont des images dont la légèreté et le charme séduisent, à l’instar de celles de Dufy ou de Marquet. Pour autant, difficile de prétendre à un quelconque effet de surprise, à une remise en question de l’ordre plastique. En ce sens, « réhabiliter » Camoin, pour paraphraser le titre de la contribution de Véronique Serrano dans le catalogue, n’est pas vraiment nécessaire. Il suffit de le juger selon ce qu’il apporte et non pas selon les diktats de la modernité. Pas moins, mais pas plus.
Commissaires : Bruno Ely, conservateur en chef et directeur ; Claudine Grammont, historienne de l’art Nombre d’œuvres : plus de 90 peintures de 5 artistes
jusqu’au 2 octobre, Musée Granet, place de Saint-Jean-de-Malte, 13100 Aix-en-Provence, tél. 04 42 52 88 32, musegranet-aixenprovence.fr, tlj sauf lundi 10h-19h, entrée 8 €. Catalogue, coéd. Musée Granet/Lienart, 176 p, 29 €.
Légende Photo :
Charles Camoin, Madame Matisse faisant de la tapisserie, 1904-1905, huile sur toile, 65 x 81 cm, Musée d’Art moderne et contemporain, Strasbourg. © Musées de Strasbourg.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Charles Camoin et ses amis fauves