L’œuvre de Bruno Botella répond à des modes d’exécution complexes, où le protocole importe finalement plus que la forme qui en résulte. Ses derniers travaux sont à voir à la galerie Samy Abraham, à Paris.
Pouvez-vous décrire le processus mis en œuvre pour votre pièce Suzanne tournante (2017) ?
Il s’agit d’un tour de potier dont le fonctionnement a subi une sorte d’inversion. Le plateau est percé, le travail ne se fait pas face à la machine, mais en se glissant à l’intérieur, la tête prise dans l’argile en mouvement. Le corps occupe deux espaces difficiles à concilier, puisqu’il travaille tant à l’extérieur (par imposition des mains en faisant monter l’argile à l’aveugle), que depuis l’intérieur (avec le tournis, en imprimant son visage contre les parois le l’argile). L’objet obtenu après cette expérience a été inondé de plâtre, puis détruit afin de récupérer un négatif. Ce plâtre, s’il permet de retrouver les proportions d’un crâne, ne donne pas véritablement à voir un visage car il est trop soumis à une modulation continue.
Souhaitiez-vous vraiment aboutir à quelque chose qui se rapproche du visage quant à la forme ?
Il y a peu de préoccupations quant à une forme finale. Il s’agit de concevoir des protocoles, des machines. Les formes qui en résultent ne sont pas préméditées, il s’agit d’empreintes, d’enregistrements. Si c’est un visage, c’est simplement que j’avais la tête dedans. La machine est hybride, c’est à la fois un tour et une guillotine, mais aussi une sorte de Dream machine à modeler. Il y a souvent dans mes travaux des références aux machines optiques, mais détournées comme pour y insérer une dimension tactile. Il s’agit souvent d’y mettre les doigts…
Dans votre esprit l’idée de protocole est-elle corrélée à celle d’expérimentation ?
Même si j’ai déjà eu des références en chimie pour des pâtes à modeler hallucinogènes ou anesthésiantes, ces expériences n’ont aucune valeur scientifique. La mise en place de ces matériaux toxiques relève d’un bricolage chimique, qui puise ses sources tant dans la médecine médiévale que dans les pratiques déviantes récoltées sur Internet et chez les drogués. Avec la drogue, c’est d’ailleurs le terme même d’expérience qui devient contestable, à mesure que l’expérimentateur s’engouffre dans la confusion et perd son autorité d’observateur.
À travers l’usage à la fois de protocoles et de substances hallucinogènes, diriez-vous qu’il y a dans votre travail une volonté de casser des règles, à la fois de production de l’œuvre d’art, mais aussi du regard ?
Les règles de production, oui, car le protocole va engager une façon d’utiliser les matériaux et de se poser également comme une sorte d’outil pour essayer de trouver une forme au final, et se montrer lui-même aussi comme une forme. Et effectivement, notre façon de recevoir des formes est soumise à des protocoles également. Mais que l’on fasse de la photographie, du dessin ou de la sculpture, on a toujours à faire à un protocole, de même lorsque l’on rentre dans une galerie ou un musée. J’essaye donc de trouver quelque chose un peu à rebrousse-poil de tout cela.
Pouvez-vous me parler de l’aquarium avec les sangsues (Pronosticator, 2017) ?
Le protocole est assez simple. Le bac contenait une masse de plastiline naturelle immergée au milieu de six sangsues médicinales. La plastiline se modèle au contact de la température moyenne d’un corps humain, les sangsues sont venues s’agripper à mes mains pour se nourrir et m’injecter leurs sécrétions anesthésiantes et vasodilatatrices. À la longue les sangsues étaient comme des doigts supplémentaires dont la présence a influé sur la façon dont j’ai travaillé la pâte. Une nouvelle fois, il s’agissait de mettre au point des conditions de travail plutôt que de produire une forme.
Un protocole sert à établir un processus et à essayer d’avoir un contrôle sur les choses, mais n’établissez-vous pas un protocole afin d’aboutir à une perte de contrôle ?
Il y a la figure du professeur Challenger d’Arthur Conan Doyle qui revient dans mon travail, celle du savant fou, du type qui va faire une expérience qui va lui échapper et évoluer d’elle-même. Il n’est pas anodin que la phrase de René Char « agir en primitif et prévoir en stratège » ait eu tant de succès dans les mouvements sociaux récents. Ce serait comme une grande marmite, où les choses se préparent lentement pour qu’au final le bouillon se répande par giclées et que ce soit la terre elle-même qui se mette à hurler.
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Bruno Botella : « Il s’agit de concevoir des protocoles »
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 12 février, Galerie Samy Abraham, 43, rue Ramponeau, 75020 Paris, tél. 01 43 58 04 16, www.samyabraham.com, mercredi-samedi 11h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Bruno Botella : « Il s’agit de concevoir des protocoles »