Nourrie par une tradition portuaire, la ville de Bordeaux s’est tournée depuis longtemps vers les contrées qui s’étendent par-delà les mers. Aussi est-il tout naturel que la cité bordelaise soit cet été la terre d’accueil de l’une des premières grandes expositions consacrées à l’art et à l’architecture actuels en Asie. Dans le même temps, le Musée des arts décoratifs met en lumière quelques influences orientales dans le verre et le cristal, depuis la fin du siècle dernier jusqu’à l’Exposition universelle de Paris en 1937.
“L’Asie est le lieu de l’expérimentation. Ce qui arrive en 300 ans en Europe est réalisé en 30 ans en Asie”, se plaisent à répéter les deux commissaires de “Cities on the move 2”, le Chinois Hou Hanrou et le Suisse Hans Ulrich Obrist. Tous deux ont abondamment sillonné les villes du Sud-Est asiatique, rencontrant artistes et architectes, visitant ateliers et bâtiments, arpentant les nouveaux quartiers, afin de proposer ici un état des lieux de la création dans ces différentes cités. Dans des pays où les campagnes restent largement traditionnelles, tant du point de vue des modes de vie que de la culture, la modernité – une modernité – se déploie principalement, et rapidement, dans de tentaculaires mégalopoles. Aussi la sélection des projets et des créateurs proposée par les deux commissaires s’apparente-t-elle parfois plus, surtout au niveau de l’architecture, à un état des lieux qu’à un véritable choix qualitatif parmi ceux qui peuvent apparaître comme les meilleurs acteurs dans leur domaine à des yeux formés par la culture occidentale. La section de l’exposition présentée à Arc-en-Rêve – le centre d’architecture qui est, tout comme le CapcMusée d’art contemporain, installé à l’Entrepôt – réunit maquettes, dessins et photographies de projets architecturaux qui privilégient de toute évidence la quantité sur la qualité. Fruits d’une forte croissance et d’une économie il y a quelques mois encore florissante, ces projets témoignent des transformations permanentes de la région. L’exposition propose donc un “arrêt sur image” sur une situation qui ne cesse d’évoluer, un instantané du mouvement perpétuel qui caractérise la situation asiatique. L’intense activité de construction a permis l’émergence d’une toute jeune génération d’architectes, non pas âgés d’une cinquantaine d’années comme en Europe, mais de trente ou trente-cinq ans. L’architecture d’ailleurs, peut-être plus que les autres champs artistiques, est le témoin d’une uniformisation générale, d’une mondialisation, à côté des arts plastiques qui doivent affronter une certaine résistance de la culture locale.
La grande nef de l’Entrepôt, dans une ambiance de marché ou de kermesse, réunit un ensemble de pièces d’une rare vitalité qui nouent avec le visiteur un dialogue, quand elles ne l’invitent pas à une participation active. De ce point de vue, il semble que l’exposition soit même mieux réussie que “Trafic”, également organisée dans ce lieu en 1996 par Nicolas Bourriaud et qui avait pour thème une soi-disant “esthétique relationnelle”. Ainsi, Matthew Ngui, né à Singapour et déjà remarqué à la dernière Documenta de Cassel, a installé un ensemble de tuyaux qui permettent de communiquer avec des personnes se trouvant dans les différentes parties du bâtiment, et même à l’extérieur. Sous le titre Free for All (gratuit pour tous), le Thaïlandais Surasi Kusolwong propose un marché réunissant environ soixante-dix produits de la vie quotidienne – coussins, couvertures, sacs, jouets… – que les visiteurs peuvent librement emporter avec eux. Le Thaïlandais Navin Rawanchaikul et l’Argentin Rikrit Tiravanija ont conçu une grande toile de sept mètres sur douze qui narre, dans une mise en scène proche des grandes affiches du cinéma thaïlandais, l’aventure d’un chauffeur de taxi tombant amoureux d’une jeune fille de Bordeaux. Tandis que le Chinois Chen Shaoxiong présente la vidéo d’une femme dans son bain, que l’on regarde par un trou pratiqué dans une porte des W.-C. du rez-de-chaussée, son compatriote Wang Du a installé dans différents espaces la statue d’une blonde décolorée très court vêtue et à la poitrine rebondie. À l’image de cette “statue de prostituée occidentale”, “Cities on the move 2” présente de nombreux aspects de notre société revus et corrigés par les artistes asiatiques. Mais les influences ne sont pas à sens unique, comme en témoignent les œuvres réalisées par certains Occidentaux après leur séjour en Asie, tel Dominique Gonzalez-Foerster et son Moment Ginza.
L’influence de l’art asiatique, et notamment japonais, se lit également sur quelques-unes des verreries de la collection du Musée des arts décoratifs de Paris exposées à Bordeaux. Le vase Mont Fuji de François Eugène Rousseau (vers 1884), s’il semble emprunter son coloris vert jade aux pierres dures chinoises et imiter ainsi “le verre de Pékin”, s’apparente pourtant plus largement aux poteries japonaises, notamment au niveau des irrégularités de son embouchure. Plus de cent pièces, de verre et de cristal, retracent une évolution stylistique qui a conduit les créateurs de l’Art nouveau à l’Art déco. Des œuvres ici encore brillantes, si ce n’est scintillantes.
CITIES ON THE MOVE 2, jusqu’au 30 août, CapcMusée d’art contemporain et Arc en rêve, L’Entrepôt, 7 rue Ferrère, tél. 05 56 00 81 50, tlj sauf lundi 11h-18h, mercredi 11h-20h.
MATIÈRE À POÉSIE : VERRERIE ART NOUVEAU ET ART DÉCO, jusqu’au 5 octobre, Musée des arts décoratifs, Hôtel Lalande, tél. 05 56 00 72 50, tlj sauf mardi 11h-18h, samedi et dimanche 14h-18h.
QUELQUES CHEFS-D’ŒUVRE IMPRESSIONNISTES DU MUSÉE DE ROUEN, jusqu’au 31 août, Musée des beaux-arts, 20 cours d’Albret, tél. 05 56 10 17 18, tlj sauf mardi 11h-18h, mercredi 11h-20h.
MÉMOIRE DU XVIIIe SIÈCLE, jusqu’au 29 août, Musée Goupil, 40-50 cours du Médoc, tél. 05 56 69 10 83, tlj sauf lundi 11h-18h, samedi et dimanche 14h-18h.
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Bordeaux rencontre l’Asie
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Abonnez-vous dès 1 €Cities on the move, catalogue en anglais de l’exposition, 466 p., 494 ill., éditions Hatje ; édition française, 80 p., coédition CapcMusée d’art contemporain et Arc en rêve-centre d’architecture, 200 F. les deux.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Bordeaux rencontre l’Asie