PARIS
La plus importante exposition de Joseph Beuys jamais organisée hors d’Allemagne depuis sa disparition, voilà bientôt dix ans, est enfin présentée à Paris. Sculptures, installations, dessins et documents filmés permettront la relecture de l’une des œuvres majeures de la seconde moitié de ce siècle.
PARIS - Depuis sa mort en janvier 1986, les expositions et les hommages à Joseph Beuys se sont succédé en Allemagne, en particulier dans sa ville natale de Krefeld en 1991. La présente exposition, organisée par Harald Szeemann pour le Kunsthaus de Zurich, est la première à voyager en Europe. Sa venue en France est d’autant plus importante que Beuys y a relativement peu exposé : aux galeries Bama en 1974, Yvon Lambert en 1981, et surtout Durand-Dessert l’année suivante, où il installa Dernier espace avec introspecteur, considérée comme l’une de ses œuvres essentielles. En dépit de ces rares incursions dans un pays dont il ne comprenait ni la langue ni la culture, l’œuvre de Beuys est bien représentée au Musée national d’art moderne, qui possède entre autres Installation homogène pour piano à queue (1966) et Plight (1985), gigantesque environnement formé de rouleaux de feutre, qui a rejoint les collections il y a quelques années.
L’impossible rétrospective
Ces œuvres figureront dans cette tentative de rétrospective qui se heurte naturellement à l’impossibilité pour nombre d’installations majeures de voyager. Ainsi ne verra-t-on aucun élément de l’ensemble conservé au Musée de Darmstadt, qui est sans conteste le plus remarquable qui se puisse voir aujourd’hui. Harald Szeemann n’a donc pas cherché à réaliser une illusoire rétrospective. Avec réalisme – et l’indispensable confiance des héritiers et des proches, en premier lieu les collectionneurs Erich Marx et Heiner Bastian – il s’est plutôt attaché à restituer autant que possible l’esprit et le parcours complexe d’un Beuys aussi penseur qu’artiste, sans aucune tentation didactique. The secret block for a secret person in Ireland, ensemble de quatre cent cinquante-six dessins réalisés entre 1945 et 1976, qui est à la fois un hommage à James Joyce et un manifeste de sa propre esthétique, constituera le fil rouge de l’exposition. Provenant de la collection Erich Marx, avant qu’elle ne soit déposée à l’ancienne gare de Hambourg, à Berlin, on pourra voir notamment Double fond (1954-1974), Arrêt de train (1976) ou encore Site (1967-1969). Les musées de Berlin, Rotterdam, Gand, Vienne et Zurich ont également été mis à contribution pour donner à cet hommage tout sa mesure.
Le ferment de l’œuvre
Le travail de Beuys ne se réduit certainement pas à un catalogue d’objets, répondant plus ou moins bien à la notion traditionnelle d’œuvre d’art. Sa pensée, son attitude, les performances ou les événements singuliers qu’il suscitait dans et autour du musée ou de la galerie étaient inséparables des œuvres qui en étaient l’émanation plus que l’origine. La dynamique énergétique qui était l’une de ses préoccupations premières, l’idée d’un art élargi, qui serait le vecteur de la transformation du corps social, l’apparente relativité des installations, toutes ces considérations sont a priori difficilement compatibles avec la re-création posthume. Pour Fabrice Hergott cependant, qui coordonne l’exposition au Centre Pompidou, il n’en est rien, et l’œuvre de Beuys ne saurait être vue simplement comme celle d’un sculpteur au sens traditionnel du terme. Les dimensions politique et morale l’imprègnent si complètement que son pouvoir subversif reste intact.
Sur le modèle de la collection "Classiques du XXe siècle", le catalogue se distinguera sensiblement de celui qui accompagnait l’exposition à Zurich et Madrid. Aucune photographie de Ute Klophaus n’y figurera, le Centre Pompidou ayant préféré publier une iconographie parfois inédite et moins "artiste" que celle de la photographe attitrée de Beuys. Outre les textes de Harald Szeemann, du collectionneur Heiner Bastian, des frères van der Grinten, d’Alain Borer, de Fabrice Hergott et de Jean-Hubert Martin, qui envisagera les rapports de Beuys avec la France, le catalogue comportera également des textes inédits de Beuys. L’un consacré au rapport du dessin avec l’économie, l’autre au mythe de Sisyphe tel qu’il fut abordé par Albert Camus. Un cycle de films et de vidéo, pratiquement exhaustif, complétera la documentation.
"Joseph Beuys", Centre Georges Pompidou, grande galerie, du 30 juin au 3?octobre. Catalogue, 400 p., 400 ill., 390 F.
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Beuys tel qu’en lui-même
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°4 du 1 juin 1994, avec le titre suivant : Beuys tel qu’en lui-même