Pour ses 40 ans, la Collection de l’art brut a reconstitué l’exposition historique de 1949 de la galerie René Drouin à Paris, réunissant des œuvres collectées par Dubuffet, notamment dans les hopitaux psychiatriques.
LAUSANNE - C’est un retour aux sources de l’art brut que propose Sarah Lombardi, la directrice de la Collection. Un retour au noyau dur du « musée », aux toutes premières œuvres réunies par Jean Dubuffet entre 1945 et 1949. Place Vendôme, l’exposition de 1949 était accompagnée d’une petite plaquette intitulée « L’art brut préféré aux arts culturels ». Dissimulée sous une modeste jaquette, c’est en fait un véritable brûlot contre le monde de l’art, qualifié d’« artificiel » et incarné par la figure de l’artiste-intellectuel « sans orient, opaque, sans vitamines ». « Désamorcé. Desaimanté. En perte de voyance. »
Jean Dubuffet souhaite à la fois légitimer l’art brut et renouveler le regard sur l’art, revoir et élargir sa définition. Il affiche d’emblée sa préférence pour les « petits ouvrages de rien du tout, tout à fait sommaires, quasi informes, mais qui sonnent très fort et [que l’] on préfère pour cela à maintes œuvres monumentales d’illustres professionnels ». Ces propos sont reproduits sur un panneau à l’entrée de l’exposition, qui court dans deux salles perchées au dernier étage.
Ne disposant d’aucun document lui permettant de reconstituer la scénographie réalisée chez Drouin, Sarah Lombardi a créé son propre parcours. En 1949, on retrouvait encore parmi les créations portant l’estampille « art brut » (« exécutées par des personnes indemnes de culture artistique ») aussi bien des œuvres réalisées dans des hôpitaux psychiatriques que des dessins d’enfants, de l’art populaire et de l’art naïf. Ces trois dernières catégories d’œuvres seront versées par la suite dans la collection annexe.
La grande majorité des pièces présentées à Lausanne – une centaine sur 167 – a été réalisée par des personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques. Place à la débrouille et aux matériaux pauvres. Ce sont souvent des œuvres de petit format, réalisées au crayon noir, au crayon de couleur ou à la mine de plomb sur des journaux, des papiers d’emballage ou des cahiers d’écolier. Aloïse Corbaz utilise des feuilles écrasées et de la pâte de dentifrice. Auguste Forestier des morceaux de bois, assortis de bouts de tissus, de cuir et des déchets qu’il récupère. Juliette Elisa Bataille confectionne ses broderies avec de gros fils de laine, des cotons et des soies. Jeanne Tripier agrémente ses dessins, exécutés à l’encre noire, violette ou bleue, de teinture, de vernis à ongle et de sucre.
Dans la deuxième salle, les œuvres ont été réparties en fonction de leurs origines géographiques (Suisse, France, Belgique, Brésil) et regroupées sous l’étiquette des hôpitaux psychiatriques qui les ont vu naître. « Le vrai art est toujours où on ne l’attend pas, là où personne ne pense à lui et ne prononce son nom », insiste Dubuffet dans le catalogue-manifeste de l’exposition de 1949 dont les pages sont étalées derrière des vitrines. La scénographie, très dépouillée, n’est accompagnée d’aucune photo, d’aucun film, ni document évoquant Jean Dubuffet, les hôpitaux qu’il a visités et les médecins qu’il a rencontrés dans ces années-là. Place aux œuvres, rien qu’aux œuvres.
Tournée des hopitaux
C’est en Suisse, durant l’été 1945, que l’auteur d’Asphyxiante culture effectue son premier voyage à la recherche d’objets « relevant de l’art brut ». Il visite plusieurs hôpitaux psychiatriques et rencontre les médecins qui les dirigent. À Berne, le docteur Walter Morgenthaler, figure marquante de la reconnaissance de l’art des fous, lui présente les dessins de son ancien patient, Adolf Wölfli. À la clinique psychiatrique de la Waldau (Berne), accompagné par le docteur Jakob Wyrsch, Dubuffet tombe en arrêt devant les étonnantes machines et le bestiaire imaginaire d’Heinrich Anton Müller. À la clinique psychiatrique de Bel Air à Genève, il s’enthousiasme pour les œuvres étranges de Berthe Urasco et de Julie Bar. À Gimel-sur-Morges, à l’asile de La Rosière, il découvre la cosmogonie personnelle peuplée de princes, princesses et d’héroïnes d’Aloïse. De retour en France, il poursuivra son travail de recherche et de collecte dans plusieurs institutions, à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu, Saint-André-lez-Lille notamment, où il admire les rhinocéros de Gaston Duf et les scènes érotiques de Stanislas Lib. À Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère, il s’intéresse aux sculptures anthropomorphes d’Auguste Forestier.
Ces créateurs, qui ne répondent pas aux codes de normalité édictés par nos sociétés, étaient ils réellement « malades » ? Pas aux yeux de Dubuffet selon lequel « il n’y a pas plus d’art des fous que d’art des dyspeptiques ou des malades du genou ».
Commissariat d’exposition : Sarah Lombardi
Nombre d’œuvres : 167
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Aux sources de l’art brut
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 28 août, Collection de l’art brut, Avenue des Bergières 11, Lausanne (Suisse). Tél 41 21 315 25 70, www.artbrut.ch
Légende Photo :
Raymond Oui, Monsieur oui oui, vers 1948, Encre et crayon de couleur sur papier, 31 Á— 24 cm - Photo : Caroline Smyrliadis, AN Collection de l’Art Brut, Lausanne
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°456 du 29 avril 2016, avec le titre suivant : Aux sources de l’art brut