Dossier
Quand Franklin Roosevelt parcourt les États-Unis en 1932, à la veille de l’élection présidentielle, la Dépression a depuis deux ans fait ses ravages. Le lugubre panorama des baraquements en toile goudronnée des Hoovervilles et des fermes désertées par les agriculteurs ruinés succède aux images de l’Âge du Jazz et aux fastes des spéculateurs de Wall Street. C’est à l’homme oublié \"au bas de la pyramide sociale\" que s’adresse Roosevelt. Le programme de ce patricien de New York s’inscrit dans une société capitaliste encore imprégnée de l’idéal des pionniers. L’ensemble des mesures du New Deal qu’il met en œuvre vise à offrir un travail aux millions de sans-emploi, à augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs et à promouvoir la coopération entre le patronat et les organisations ouvrières. De multiples agences gouvernementales sont chargées de régir les rapports entre l’État et le pays en veillant à la loyauté des partenaires. Le prestige du businessman a difficilement survécu au krach financier du \"Jeudi noir\", qui a ébranlé la confiance des citoyens américains dans le libéralisme. Si l’entreprise de réconciliation nationale passe par le redressement économique, elle exige aussi de mettre fin à l’exclusion de familles sans ressources, hormis le recours humiliant à l’assistance publique. Le Works Progress Administration (WPA), voté en 1935, constitue l’effort le plus massif pour assurer un emploi décent à tout Américain. Huit millions de chômeurs participent à plus d’un million de projets dans le domaine des travaux publics : 125 000 ponts, 90 000 kiÂloÂmètres de routes, 12 000 bâtiments et 8 000 parcs voient le jour. Si le salaire mensuel de 41 dollars paraît mince, il réintègre dans la communauté une population désemparée. Sans être sacrifié, le travail des femmes reste insuffisant, à peine 500 000 emplois dans les services de l’assistance publique pour des fonctions subalternes.
Mais les acteurs du New Deal ne sauraient se satisfaire de meÂsures ponctuelles. Leur interventionnisme répond à la nécessité d’arbitrage que ressent la population après les années de laissez-faire où, selon Herbert Hoover, prédécesseur républicain de Roosevelt, a prévalu un \"individualisme effréné\". Le New Deal ne menace pas les places fortes des grandes sociétés, mais enrôle le citoyen dans une croisade progressiste destinée à redistribuer les pouvoirs et à reprendre en main l’intérêt public. Régulateur d’un nouvel ordre économique, Roosevelt ne peut être accusé de faire le jeu des communistes – même s’ils lui tendent la main en 1936 dans le mouvement du Front Populaire. Il n’entend pas pour autant s’aliéner la cause du peuple. L’inquiétude perce toutefois sous le messianisme, les militants de Roosevelt ont forgé un esprit national qui puise sa ferveur dans la diversité, actualisant ainsi la devise E pluribus unum. Leur discours hégémonique a-t-il jeté les bases d’un national-populisme en prônant de nouvelles valeurs identitaires avec un pragmatisme de nature à neutraliser les idéologies extrémistes ? À la veille du conflit mondial, des mutations radicales interviennent dans l’organisation du WPA. La patrie en danger doit se réorienter vers les industries de défense. La mystique du redressement et la magie du verbe rooseveltien se sont quelque peu émoussées. Le New Deal est identifié à la gabegie dans la campagne présidentielle des Républicains en 1940. Une époque est révolue.
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