Au Crédac, à Ivry, Friedrich Kunath réussit un accrochage porté par la fantaisie du déplacement et l’errance mélancolique.
IVRY-SUR-SEINE - Il va loin Friedrich Kunath, très loin même. Partout l’évasion est palpable et perceptible dans le parcours que donne à voir le Crédac. Ses travaux échelonnés entre 2006 et 2013 se déploient dans trois salles et autant de fausses thématiques qui apportent peu à la lecture de l’œuvre, tant se manifeste d’emblée une remarquable unité. Celle-ci prend corps dans une atmosphère qui enveloppe et accompagne, et qui sait à merveille agencer élan fantaisiste et ressort mélancolique auquel l’artiste tente de résister.
Le centre d’art contemporain d’Ivry-sur-Seine réalise là un joli coup, en consacrant pour la première fois dans l’Hexagone une exposition à cet artiste insolite défendu par des galeries de renom telles BQ (Berlin), Blum & Poe (Los Angeles) ou Andrea Rosen (New York), laquelle lui a consacré l’hiver dernier un bel accrochage porté par un onirisme vaporeux.
Kunath c’est en premier lieu un grand écart. Celui d’un Allemand volontairement exilé sous le soleil de Los Angeles et qui, toujours avec finesse, parvient à mêler des références culturelles parfois aux antipodes les unes des autres. Ses œuvres sont porteuses d’une narration largement ouverte à l’imaginaire. L’une de ses toutes dernières œuvres en témoigne, une immense peinture reprise d’un tableau d’Édouard Vuillard, Les Premiers Fruits (1899), conservée dans un musée de Pasadena (Californie). Une copie qui s’apparente plutôt à la pratique hollywoodienne du remake, lorsqu’apparaissent dans le paysage un coyote cartoonesque et un personnage solitaire tout droit sorti de chez Bruegel, le tout étant coiffé d’un ciel jaune rosé dans la plus pure tradition californienne (RE : Vuillard (LAX), 2013).
Otarie et chauve-souris
Fantaisie et mélancolie disions-nous ? Elle est formidable en effet cette otarie sur le museau de laquelle, à la place du ballon, est posé un polyèdre dont la forme est calquée sur celui de la gravure Melencolia de Dürer (The End of the World is Bigger Than Love, 2012). Tout est dit en un saisissant raccourci, non seulement du mélange nécessaire à la compréhension du monde contemporain, mais aussi de la variété des états et sentiments animant l’artiste et son œuvre. Entre fantaisie et mélancolie Kunath fait le grand écart. Léger et facétieux avec ces chauves-souris en céramique suspendues au plafond et qui ont laissé choir sur un tapis de menus objets – le contenu de leur poche (Broke Bats, 2008) –, il se fait plus nostalgique dans ce film où un bonhomme de neige arpente en plein soleil, valise à la main, des montagnes désertiques sans savoir où se diriger (Sans titre, 2009). Ce personnage cherche-t-il sa place dans un monde à la fois confortable et inconfortable dans lequel parvenir à se situer relève de la gageure ? Le film About soufflé (2004) ne dit rien d’autre, qui montre l’artiste sauter littéralement d’une séquence à une autre en atterrissant à chaque fois dans une ville ou un paysage radicalement différents.
De voyage il est beaucoup question, notamment avec ce rassemblement de valises qui, pour certaines, prennent le large et s’envolent dans l’espace du centre d’art (We Are Nowhere and it’s Now, 2013), non sans exhiber quelques livres et objets, ou encore avec ce disque de Jimmy Buffett, chanteur country dont la musique est un peu devenue celle des « homeless » croisés sur les plages de Californie.
Sans avoir l’air d’y toucher, Kunath affronte la violence sourde émanant du cours normé des choses, ainsi ces mocassins géants couverts l’un de mégots de cigarettes, l’autre d’œufs au plat, joli pied de nez au conformisme ambiant (Honey, I’m Home (Egg), 2012). Avec parfois la tentation de Venise, celle de l’effacement, de la disparition, lorsqu’une série de photos le montre s’enfonçant dans un chemin de plage à mesure qu’il se défait d’une grande quantité de vêtements, jusqu’à se perdre dans l’horizon marin (For Everyman, 2006).
Grâce à Friedrich Kunath et la sensibilité émotive dégagée par son travail, des portes insoupçonnées s’entrouvrent et le voyage s’effectue aussi dans la tête… et ça fait du bien !
Commissaire : Claire Le Restif
Nombre d’œuvres : 33
Jusqu’au 23 mars, le Crédac, centre d’art contemporain d’Ivry, La Manufacture des œillets, 25-29, rue Raspail, 94200 Ivry-sur-Seine, tél. 01 49 60 25 06, www.credac.fr, tlj sauf lundi 14h-18h, samedi-dimanche 14h-19h.
Titre original de l'article du Journal des Arts n°407 : "Voyage dans ma tête"
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Voyage dans la tête de Friedrich Kunath
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Abonnez-vous dès 1 €Vue de l'exposition "Friedrich Kunath. A plan to follow the summer around the world" au Credac à Ivry-sur-Seine - © Photo Marc Domage
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Voyage dans la tête de Friedrich Kunath