Le centre d’art du Magasin à Grenoble propose une sélection d’œuvres vidéo issues de la collection Pierre Huber : une promenade dans la plasticité du pixel.
GRENOBLE - Point trop n’en faut ! Ce pourrait être la devise présidant à la tenue de cette exposition qui présente une mince part de la collection vidéo du galeriste et collectionneur genevois Pierre Huber. Mince, car sur la centaine d’œuvres vidéo que comprend sa collection, seules dix-sept sont présentées au Magasin, le centre d’art contemporain de Grenoble. Et c’est tant mieux. Car, ainsi que le reconnaît Pierre Huber lui-même, « il est assez rébarbatif de voir une exposition de vidéos, donc autant ne pas trop en montrer, ce qui permet aux gens d’assimiler au moins quelque chose ».
La sélection serrée a permis d’installer les œuvres, pour celles qui le nécessitent, dans des espaces amples, tout en se conformant aux dispositifs originaux conçus par les artistes. Ainsi l’angle où se rejoignent les deux murs servant de support au captivant Trussed (1996), d’Isaac Julien, est-il traité en courbe, avec des projections dont le bord inférieur, légèrement incurvé vers le haut, donnent une sensation de décrochement et d’intrusion dans la salle. Très hypnotique tant le rythme est lent et réglé, l’image en noir et blanc, léchée et élégante, cette incursion dans un étrange ballet masculin, aux relents de cuir et de SM, distille comme une beauté vénéneuse. Quant à l’installation de Sturtevant, The Dark Threat of Absence Fragmented and Sliced (2002), elle trouve dans un étroit couloir l’emplacement idéal pour ses sept écrans plasma posés sur socle, l’un derrière l’autre, qui donnent à l’œuvre une parfaite cadence.
Les choix opérés par le directeur du lieu, Yves Aupetitallot, parviennent également à susciter la curiosité, et poussent à rester devant certains travaux dont le déroulé narratif en interroge les tenants et aboutissants. Dans le film de Rodney Graham A Reverie Interrupted by the Police (2003), il est impossible de quitter l’incongruité de cette action où un bagnard menotté en costume rayé joue sur scène du piano sous la surveillance d’un officier de police. De même, le film de Shirin Neshat, Zarin (2005), qui conte le rapport au monde et à la pureté d’une jeune femme en proie à des hallucinations, captive en dépit de sa durée (vingt minutes). Ces choix questionnent aussi la capacité de réception du public. Ainsi Pierre Huber concède-t-il « être intéressé par la réaction des gens qui n’ont jamais de temps à consacrer à la vidéo ». Précisant : « Quand vous entrez dans la salle de Francesco Vezzoli, par exemple, vous êtes obligé de voir la trilogie complète si vous voulez comprendre l’œuvre (An Embroidered Trilogy, 1997-1999) ».
Retiendra également l’attention du visiteur le rapport ouvertement plastique entretenu par le collectionneur avec l’image vidéo, lui qui note que « c’est [sa] façon d’évoluer intellectuellement parce qu’[il] y trouve une continuité avec la peinture ». Le genre du portrait apparaît ainsi revisité dans le touchant Annemiek (I Wanna Be With You) (1997), de Rineke Dijkstra. L’artiste filme frontalement la magnifique gêne d’une gamine un peu gauche, entonnant son air favori au cours d’une séance de karaoké.
Matérialité et sensualité
Plusieurs œuvres jouent par ailleurs sur la matérialité de l’image, rendue très présente, concrète, intense. Dans Fire (2005), d’Annika Larsson, ou The Rocking-Chair (2002-2003), de David Claerbout, les grandes dimensions de la projection et la netteté de l’image replacent le pixel en maître d’un dispositif qui organise le rendu visuel. Il agit comme une touche conférant une qualité presque tactile à la surface.
Plus loin, c’est l’aspect sculptural qui sera mis en relief, ainsi avec la valise de Tony Oursler dans laquelle disserte un personnage (Whatever You Want, 1995) ou les étagères d’Anna Lindal supportant moniteurs et objets quotidiens (Borders, 1999-2000).
La plasticité se matérialise enfin dans une certaine sensualité des images, ce à travers une diversité de processus. Tandis que Nam June Paik assemble soixante-cinq moniteurs en un vibrant mur d’images dont un modèle nu occupe le centre (Main Channel Matrix, 1993-1996), Maria Marshall fait faire des volutes de fumée à un enfant (When I Grow up I Want to Be a Cooker, 1998). Sylvie Fleury laisse quant à elle déambuler les jambes d’une jeune femme sur un sol jonché de boules de noël, rageusement écrasées avec ses talons aiguilles (Strange Fire, 2005). Pour Pierre Huber, qui avoue « une relation charnelle avec l’art », la vidéo semble en effet être avant tout une affaire de plastique voluptueuse.
REVIEW : VIDÉOS ET FILMS DE LA COLLECTION PIERRE HUBER, jusqu’au 3 septembre, Magasin, site Bouchayer- Viallet, 155, cours Berriat, 38000 Grenoble, tél. 04 76 21 95 84, www.magasin-cnac.org, tlj sauf lundi 14h-19h. Catalogue, éd. JRP-Ringier, Zurich, français/anglais, 96 pages, 170 ill. couleur, 35 euros, ISBN 2-940271-79-8. Et aussi : REPLAY : LA SPHÈRE PUNK ; MICHAEL CRAIG-MARTIN, jusqu’au 3 septembre.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Vidéo plastique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- Commissariat : Yves Aupetitallot, directeur du Magasin - Nombre d’artistes : 17 - Nombre d’œuvres : 17 - Surface d’exposition : 900 m2
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°240 du 23 juin 2006, avec le titre suivant : Vidéo plastique