Avec un ensemble de photographies et un nouveau film se déplaçant entre plusieurs villes (Traversée, 2012), Valérie Jouve donne à saisir la teneur d’une identité du paysage palestinien.
Frédéric Bonnet : Plutôt qu’une observation de la complexité des territoires palestiniens, ce projet semble être basé sur l’idée de traversée. L’avez-vous pensé ainsi ?
Valérie Jouve : Je l’ai au début clairement pensé comme un road movie. J’avais en tête une petite idée, dans le sens de ce que la communauté internationale et l’ONU donnent comme réalité des choses, et lorsque je suis allée en Palestine j’ai été très surprise de l’image que je pouvais en avoir. Tout d’un coup, je me suis dit « c’est très étrange cette question de savoir si c’est un pays ou pas, c’est tellement évident ! » En dehors de parler de tout conflit, je veux exprimer la possibilité de donner à voir un objet qui ne pose même plus cette question et nous fait voir ce territoire tel un État. Je ne suis pas anthropologue, mais j’ai travaillé un temps dans ce domaine, et je reconnaissais là une identité, la spécificité d’une culture, tous les tenants de ce qu’on appelle un pays. Dans ce film, la traversée montre également toute la diversité de paysages que tient ce tout petit bout de territoire ; depuis les paysages du désert aux forêts, les différences entre les villes, toutes ces choses qui font qu’à un moment donné on peut reconnaître ce pays.
F.B. : Votre exposition présente à la fois des photos et un film. Ces deux modes d’expression étaient-ils là complémentaires, d’autant que vous avez effectué dans le film des arrêts sur image en insérant certaines de ces photos ?
V.J. : Cette exposition incarne véritablement toute la relation que j’essaye de trouver avec ces outils d’enregistrement – le son, la photographie, le film – en tentant d’avancer non pas dans un rapport cloisonné, mais de manière à ce qu’ils dialoguent et se questionnent les uns les autres. J’ai toujours dit que mon travail était une sorte de réflexion sur un vocabulaire urbain, sur la façon dont on ressent dans la ville ce rapport de pouvoir et d’autorité, comment se font les résistances, je continue donc avec ça. J’ai commencé ce film en 2010, lorsque j’habitais Jérusalem avec ma fille. Nous avons rencontré un marionnettiste qui est devenu un ami de la famille et avec qui nous avons eu des expériences de vie dans ce territoire. Il nous l’a fait connaître d’une autre manière. Je devais faire ce film très vite puisque ma fille partait avec moi. En parallèle j’ai commencé le projet de faire le portrait de six villes palestiniennes, ce qui n’est pas exhaustif car je ne suis pas là pour dire où sont les frontières d’Israël ou de la Palestine. Il s’agit donc des plus grandes villes, celles dont je pense avoir été assez proche, que j’ai vécues de manière intime : Naplouse, Ramallah, Jérusalem est, Jéricho, Bethléem et Hébron. En faisant ces images, il y avait comme des sortes d’écho au film car il s’agissait d’une traversée de la Palestine et que c’était aussi une reconnaissance de ce pays. C’est là que je me suis dit que la photographie a quelque chose de beaucoup plus radical que le film en termes de point de vue : le fait de donner le temps au spectateur de s’approprier une image. Je me suis aussi demandé si le film ne passe pas trop vite dans les lieux ?
F.B. : Quelle est la part de mise en scène dans vos images ? Vous situez-vous plutôt d’un côté documentaire ou cherchez-vous à créer un entre-deux ?
V.J. : C’est un entre-deux. Il y a tout de même une dimension documentaire, celle de la nécessité que j’avais sur ce lieu-là. Mais mon mode de travail à la chambre grand format fait qu’à un moment donné ces paysages sont mis en scène, c’est-à-dire qu’ils sont réinterprétés car les perspectives de mon regard sont faussées par ce que l’optique photographique seule peut me donner. Et tout ce travail porte aussi effectivement sur la réalité que je redonne à voir. À partir de ce moment, je suis obligée de la mettre en scène avec différents outils. Bien entendu les passants dans la rue ne posent pas pour moi, ils passent quand je cadre, mais l’image est mise en scène à la base. Je suis dans un moment où je pourrais dire que toute intervention réfléchie pour la construction d’une image demande de la mise en scène. On scénographie ; même un paysage on le scénographie !
Jusqu’au 23 février, Galerie Xippas, 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris, tél. 01 40 27 05 55, www.xippas.com, tlj sauf dimanche-lundi 10h-13h/14h-19h
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Valérie Jouve - Photographe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Valérie Jouve - Photographe