Inspiré du livre de photographies publié par Danny Lyon, The Bikeriders recrée un passé mythique : celui des bandes de motards des sixties.
Pour construire ses histoires, le cinéma s’appuie volontiers sur la littérature. Le nouveau long-métrage de Jeff Nichols a l’originalité de s’inspirer d’un livre de photos. The Bikeriders est un album mythique publié par Danny Lyon en 1968. Jeune photographe, Lyon avait suivi une bande de motards des faubourgs de Chicago de 1963 à 1967. Ses images s’accompagnent de nombreux témoignages enregistrés au fil des années et livrés sans commentaires en fin d’ouvrage.
À partir de ces textes, l’auteur de Mud (2012) et Loving (2016) a conçu un scénario de fiction labyrinthique. L’histoire nous est racontée par Kathy (Jodie Comers) qui se souvient de sa rencontre avec deux motards. Il y avait Johnny (Tom Hardy) un vrai dur, fondateur et leader du club des Vandals, et puis Benny, un solitaire au visage d’ange énigmatique (Austin Butler), qu’elle a vite épousé. Cette savante structure en flashbacks imprime à l’œuvre sa mélancolie. The Bikeriders est une réminiscence. À travers la mythologie des bécanes, Jeff Nichols décrit le passage d’une Amérique à une autre. L’aventure se situe quelque part entre le crépuscule des fifties et l’aube des seventies. Depuis sa première parution, il y eut plusieurs éditions de The Bikeriders. Visuellement, le cinéaste s’inspire de la plus récente. En 2003, le photographe a dévoilé des tirages en couleur inédits qui donnent à sa série une profondeur nouvelle. Curieusement, les couleurs ancrent plus le projet dans le passé que le noir et blanc, qui donnait aux clichés une teinte intemporelle. Et c’est précisément ce rapport au passé que travaille Nichols. Les couleurs du film paraissent estompées, délavées par les années. Lorsqu’on évoque avec lui l’esthétique de son film, Nichols nous assure avoir peu retouché ses images en post-production. Les couleurs qui s’étalent sur la toile de l’écran sont celles des costumes, des maquillages, des décors. Dans un exercice méticuleux, le cinéaste a recréé non pas ces photos mais le monde qu’elles représentaient et qui le fascinait depuis 20 ans.
Curieusement, Nichols signe un film de motards qui s’intéresse peu à la vitesse. The Bikeriders est une œuvre de portraitiste. Même à cheval sur leurs machines, ces héros paraissent figés dans des poses codées. Tous ces gros durs ont pour idole et modèle Marlon Brando en blouson de cuir, moins dans L’Équipée sauvage de Lazlo Benedek que dans les posters et les images découpées dans les magazines. Paradoxalement, leurs mains couvertes d’huile, leur apparente négligence tiennent d’une forme de coquetterie. Voilà pourquoi la caméra ne s’envolera pas. Elle reste à leur hauteur, comme pour nous placer parmi eux… Mais pas dans le temps présent : au milieu de voyous à jamais disparus. The Bikeriders n’est pas un film sur la moto mais sur la photographie, et les traces d’un monde perdu.
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Une nostalgie Américaine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°776 du 1 juin 2024, avec le titre suivant : Une nostalgie Américaine