Le Français Bruno Serralongue présente au Centre de la photographie de Genève la première rétrospective d’un travail qui produit une critique active de la sphère médiatique.
GENÈVE - Depuis qu’il s’est installé dans le BAC, le bâtiment d’art contemporain à Genève qui réunit, à côté du Mamco, plusieurs institutions genevoises sur 2 000 m2 (Centre d’art contemporain, Centre d’édition contemporaine et Centre pour l’image contemporaine), le Centre de la photographie de Genève (CPG) s’est donné les moyens d’expositions consistantes. Son espace a été inauguré avec « Photo-trafic », pendant l’été 2006. Aujourd’hui, avec « Backdraft », il s’agit de la plus importante exposition monographique de Bruno Serralongue à ce jour. Le travail de l’artiste parisien (né en 1968) résonne avec le projet du Centre dont le programme, sous la direction de Joerg Bader et Manuella Denogent, se bâtit à la frange de la photographie, autour de la question documentaire et des rapports aux réalités du monde construit par l’image. Avec ses ambiguïtés, l’œuvre de Serralongue a déjà été présentée au CPG. Mais cette fois, sur quelque 800 m2 pour une dizaine d’espaces, avec soixante-et -un tirages couleurs, dont de grands formats, une série de noir et blanc et une projection de diapositives, l’artiste a réuni des ensembles significatifs. Ainsi de quatre séries complètes autour de Jornal do Brazil, 1999-2000, soit toutes les photos faites pour la rédaction du journal pendant près d’un mois ; Sunday Afternoon, 1999, portraits de rue au Brésil, 1999 ; Le Sommet de Tunis sur la société de l’information, 2005, et Luna Park (Bilbao), 2005, deux de ces reportages décalés. Les Manifestations (1995) autour de la mobilisation anti-Juppé sont présentées sous la forme d’une projection de 690 diapositives rythmée de manière à ce que chacune d’elle ne passe qu’une fois pendant la durée de l’exposition. À ces ensembles s’ajoute un choix d’images de grand format extraites d’autres séries : de quoi percevoir une démarche qui emprunte volontiers au photojournalisme de presse quotidienne locale son mode de diffusion et sa « non-écriture » photographique. Serralongue a inauguré à Corse Matin en 1997, sur une commande du FRAC Corse, ce choix d’endosser le double rôle et de faire tenir ses images dans le journal et le lieu d’art. Il a défini depuis le régime de sa photographie, avec des images de basse intensité prises au revers des événements, non pas au centre chaud de la focalisation médiatique, mais juste à côté. Il procède avec des moyens qui le ralentissent délibérément (la chambre sur trépied). D’où ce regard singulier, qui laisse au regardeur le temps de relever les différentes tensions entre les personnages, les lieux et les signes. Le produit sensible de cette position dans l’image se veut « alter-informative » et parvient le plus souvent à produire une critique active de la sphère médiatique et à dessiner le lieu d’une autre attention au monde. L’ambition politique du travail se tiendrait là, profitant de l’espace suspendu que définit l’art pour remettre en jeu la perception du théâtre sociétal, représenté mais aussi vécu. Même si les unités de sens sont un peu dispersées à l’échelle du présent accrochage, l’exposition de Genève rend compte avec justesse de cette ambition.
Jusqu’au 1er avril, Centre de la Photographie de Genève, 28, rue des Bains/10, rue des Vieux-Grenadiers, Genève, tél. 41 22 329 28 35, tlj sauf lundi 11h-18h, www.bac-ge.ch - Commissaires d’exposition : Joerg Bader, Manuella Denogent - Nombre de salles : une dizaine environ - Surface d’exposition : 800 m2
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Une autre attention au monde
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Abonnez-vous dès 1 €L’actualité genevoise est aussi marquée, toujours au BAC, mais cette fois au Centre d’art contemporain, par la reprise du projet montré au Caire et conduit par l’artiste suisse Ursula Biemann : « The Maghreb Connection », qui documente et réfléchit les mouvements d’émigration qui traversent le Nord de l’Afrique. Une démarche collective et concernée qui finira bien par trouver son juste écho en France. Autour du titre-programme « Onamatterpoetic », en son premier épisode, « Rolywholyover », le Mamco ouvre un nouvel ensemble de propositions, soit cinq expositions monographiques et un peu plus. Dans l’esprit du titre, la dimension poétique du langage est explicite dans des travaux d’un Christian Robert-Tissot et ses mots peints, mais demeure surtout comme principe de composition des programmes et des positions artistiques variées qui font, avec les extraits de la collection, l’inépuisable agrément d’une visite au Mamco. Enfin, le Cabinet des Estampes (dont le conservateur, Christophe Cherix, officiera bientôt au Museum of Modern Art à New York), de son côté, s’est ouvert à une proposition de l’artiste new-yorkais John Tremblay pour réunir une petite trentaine d’artistes qui ont travaillé le plastique thermoformé, dans les années fondatrices (début 1960) avec Oldenburg, Baxter, et depuis Hamilton en 1970, Peter Halley en 1987. Autant de « tableaux » dont la matérialité froide et la plasticité directe ont retenu des artistes bien au-delà de l’ère pop.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°254 du 2 mars 2007, avec le titre suivant : Une autre attention au monde