AVIGNON
Portée par le thème des échanges en Méditerranée, la Collection Lambert en Avignon multiplie les directions et perd son intention en chemin.
AVIGNON - À l’heure du lancement de « Marseille Provence 2013, capitale européenne de la culture », proposer à Avignon un parcours traitant des emprunts et échanges esthétiques et stylistiques opérés avec l’Orient et les bords de la Méditerranée apparaît opportun, tout en relevant d’une certaine logique. La proposition émise par la Collection Lambert aborde frontalement l’immense attraction exercée par ces contrées en prenant l’histoire de biais. « Mirages d’orient, grenades et figues de barbarie.
Chassé-croisé en Méditerranée » s’ouvre sur une belle salle évoquant l’aventure du Tanger des années 1950, où se croisèrent Paul Bowles et William Burroughs, rejoints par Robert Rauschenberg et Cy Twombly qui, en 1952, tirèrent de leur passage dans la région quelques remarquables clichés noir et blanc : natures mortes composées des seuls éléments de mobilier pour l’un (Series Table, Chair and Clothes, Tetuan), portraits et paysages pour l’autre. Fort opportunément, une Vue sur la baie de Tanger (1912) esquissée par Matisse, quarante ans auparavant, rappelle l’inscription dans la durée d’une fascination entretenue par les artistes et créateurs occidentaux à l’endroit d’un Orient rêvé et fantasmé. C’est bien l’un des principaux intérêts de cette exposition que d’insister sur la permanence depuis le XIXe siècle d’une description visuelle de l’Orient qui souvent confine à une apologie du voyage.
Orient envoûtant
Les va-et-vient opérés dans l’accrochage à travers des œuvres et documents de natures variées en témoignent. À l’intérêt d’Auguste Chabaud pour la silhouette et le costume maghrébins, dont attestent des dessins exécutés entre 1903 et 1906, répondent les croquis et relevés architecturaux effectués en Perse par Pascal Coste en 1840 et à Istanbul par Le Corbusier en 1910. Une magnifique séquence orientaliste laissant alterner figures et paysages, agrémentés par quelques armes, livres ou tapis, pose les bases de cette fascination tout en permettant de la redécouvrir ; elle passe notamment par des tableaux de Jean Noro (Embarquement en Orient, vers 1880), Jules Laurens (Sur les toits d’Ispahan, XIXe s.), Théodore Frère (Cavalier et vue de marché, XIXe s.) et Louis-Amable Coulet (Portraits d’Arabes, 1893), ou un cliché de Félix Bonfils figurant des Bédouines syriennes (1831).
Arguties décoratives
L’aventure commence à se gâter lorsqu’une large section, relative notamment à l’imagerie du bain turc, commence à trop diluer le propos. Elle est certes l’occasion d’introduire des propositions contemporaines de Nan Goldin, Pierre & Gilles ou Tacita Dean (son très beau film Géllert [1998] tourné dans les bains de Budapest) qui auraient toutefois fort bien pu trouver leur place plus avant dans le parcours. En outre, la présence là d’éléments de mobiliers, textiles ou bijoux en trop grand nombre n’apporte rien si ce n’est une fâcheuse sensation de se trouver face à des arguties purement décoratives. Mais c’est en tentant de rattraper le train de l’histoire récente que l’entreprise finalement déraille, tant à cause de la faiblesse de certaines œuvres que de l’éparpillement du discours. Les préoccupations initiales cèdent alors le champ à des considérations politiques difficiles à raccrocher au propos d’origine. Alors que Walid Raad interroge avec finesse le témoignage et la valeur du document en exhumant des photos rayées de l’invasion de Beyrouth ouest par Israël en 1982 et que Mona Hatoum compose une belle et forte Nature morte aux grenades (l’arme cette fois-ci), Claire Fontaine se satisfait du slogan évident et éculé « étrangers partout », clignotant alternativement en hébreux et en arabe (Foreigners everywhere, 2010), tandis que Moataz Nasr a récupéré sur la place Tahrir, au Caire, des slogans de révolte qui, simplement regroupés là, peinent à constituer un discours (18 Days, 2011). Si les questions abordées sont légitimes, elles auraient nécessité de faire l’objet d’une proposition autonome.
Jusqu’au 28 avril, Collection Lambert en Avignon, 5, rue Violette, 84000 Avignon, tél. 04 90 16 56 20, www.collectionlambert.com, tlj sauf lundi 11h-18h.
Catalogue coéd. Actes Sud/Collection Lambert, 356 p., 39 €
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Un Orient perdu de vue
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Commissaire : Éric Mézil, directeur de la Collection Lambert
Nombre d’artistes : 78
Nombre d’œuvres : 400 références (les objets d’art décoratifs et manuscrits)
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Un Orient perdu de vue