Passion privée

Un nouveau monde à la Maison Rouge

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2013 - 699 mots

La Maison rouge met le cap sur l’Australie avec un mélange des genres, entre le Mona et le Tasmanian Museum, orchestré par Jean-Hubert Martin.

PARIS - Connu pour ses goûts éclectiques et son appétence à emprunter des chemins de traverse plutôt que des autoroutes, Antoine de Galbert doit particulièrement savourer l’exposition « Théâtre du monde » présentée en les murs de sa Maison rouge, à Paris.

De chemins de traverse celle-ci regorge en effet, inscrits dans des contrées lointaines, en Australie. Pour la dixième exposition consacrée à une passion privée, est invité le collectionneur David Walsh, qui en 2011 a soudainement semblé surgir de nulle part une fois achevée la construction de son gigantesque Museum of Old and New Art (Mona) ; soit 9 000 mètres carrés de surface d’exposition situés dans un édifice posé sur une falaise de Tasmanie, et abritant quelque 2 000 œuvres. Mathématicien ayant fait fortune dans les jeux, l’homme cultive lui aussi des passions des plus éclectiques, collectionnant non seulement de l’art contemporain, australien et international, mais aussi des pièces d’époques et de cultures variées.

La bonne idée de cette proposition a consisté à convier Jean-Hubert Martin à effectuer un choix d’œuvres et à en orchestrer la mise en scène. Parallèlement, le commissaire a jeté son dévolu sur des œuvres du Tasmanian Museum and Art Gallery voisin, entièrement dédié à l’étude et à la mise en valeur de l’histoire, des productions artistiques et des cultures indigènes de Tasmanie. Le résultat est quelque peu ébouriffant, et conduit le visiteur à une immersion profonde en terres véritablement inconnues, ce qui n’est pas pour déplaire. Car c’est un autre monde qui se révèle au regard, constitué d’inspirations primitives et de formes actuelles, d’œuvres d’art et d’objets rituels ou à usage domestique.

Rapprochements stupéfiants
Plus qu’une « remise en question des conventions muséologiques usuelles » (qui n’en est plus vraiment une tant les expositions qui mêlent champs et temporalités divers sont fréquentes aujourd’hui – et c’est tant mieux), la réflexion permet d’entrevoir quelques spécificités culturelles, qui le sont d’autant plus qu’elles prennent langue avec des créations venues d’ailleurs.

Magistrale est ainsi une grande salle toute noire évoquant un tombeau, dont les murs inclinés sont parsemés de magnifiques tapa, ces étoffes d’écorce symboliquement chargées aux motifs géométriques précisément ordonnés, pouvant servir d’offrandes cérémonielles. Au contact ici d’un sarcophage égyptien exceptionnellement prêté par la Musée du Louvre et d’un Homme qui marche de Giacometti, ces pièces introduisent un questionnement sur la manière de penser le corps, son présent et son passage vers la mort. D’autant qu’au sortir, dans la salle d’en face, un vaste mur est couvert d’un papier peint de Robert Gober où se multiplie le motif d’un homme endormi rêvant à une pendaison (Hanging Man/Sleeping Man, 1989), tandis qu’à un arbre les frères Chapman ont suspendu deux corps mutilés (Great Deeds Against the Dead, 1994).

Indéniablement, le commissaire est toujours aussi à l’aise dans l’élaboration de rapprochements inattendus et parfois stupéfiants, comme lorsque les percutants tableaux des années 1950 de l’Australien Sydney Nolan rencontrent Berlinde De Bruyckere et Oleg Kulik et évoquent l’interaction, y compris sexuelle, entre homme et animal. Certaines conversations se font plus poétiques, à l’instar de celle engagée par le cercle de bande magnétique de Zilvinas Kempinas (O (Between Fans), 2006) flottant à proximité de bois de daim fixés aux murs.

Mais ce petit jeu produit parfois des assemblages forcés voire des dérapages, comme avec ce bronze de Max Ernst, un masque souriant (L’Imbécile, 1961), posé sur un objet rituel, un Autel en forme de divinité tête d’oiseau (4000 av. J.-C.), suscitant là une étrange impression d’instrumentalisation. Dans l’aisance de sa verbalisation, la proposition peut en outre s’emballer et virer à l’emphase. Ainsi d’une salle axée sur la conception et l’enfantement où le décor pesant façon chambre bourgeoise prend largement le dessus sur les  œuvres. C’est lorsqu’il franchit ces frontières-là que l’exercice virtuose rencontre ses propres limites.

THÉÂTRE DU MONDE

Jusqu’au 12 janvier 2014, La Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, www.lamaisonrouge.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-19h, jeudi 11h-21h. Catalogue, coéd. La Maison rouge/Fage éditions, 224 p., 24 €.

Commissaire : Jean-Hubert Martin
Nombre d’œuvres : environ 300

Légende photo

Vue de l’exposition « Théâtre du Monde » à la Maison rouge, avec l'œuvre des frères Chapman et le papier peint de Robert Gober. © Photo : Marc Domage.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Un nouveau monde à la Maison Rouge

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