NEW YORK - C’est un accrochage tout en sobriété, à l’éclairage diffus, qui pour la première fois célèbre Paul Thek (1933-1988) dans le cadre d’une rétrospective sur le sol américain, au Whitney Museum of American Art, à New York… vingt-deux ans après sa mort !
Une longue attente qui peut s’expliquer par le fait que l’artiste ait effectué la majeure partie de sa carrière en Europe, mais aussi parce qu’il représente une figure singulière, éloignée de toutes les esthétiques en vogue au cours de ses années de production. Des esthétiques face auxquelles Thek, en plus de se démarquer, a volontiers joué l’ironie, à l’image des tableaux de petits formats des dix dernières années de sa carrière, très colorés et sur lesquels peuvent flotter des mots, souvent accrochés bas, parfois accompagnés de chaises d’écoliers et éclairés par des lampes individuelles sur les cadres, où se lisent rejet et moquerie du bon goût établi. « Paul Thek » est un événement car, hormis les tableaux de la série Television Analyzations (1963) curieusement absents, rien de significatif ne manque, et les nombreuses œuvres disparues – Thek a produit de nombreuses installations éphémères ou mal conservées – sont documentées, à l’instar de The Tomb (1967) où une effigie mortuaire de l’artiste fut exposée dans un mausolée en forme de ziggourat. Un tiraillement constant entre vie et mort, c’est bien ce qui ressort de la production de l’artiste à travers ses Reliquaires technologiques (1964-1967), boîtes de Plexiglas contenant des membres arrachés ou des morceaux de chair en cire, mais aussi ses installations Fishman (1969) et Fishman in Excelsis Table (1970-1971), moulages de son corps entourés de poissons, dont l’un flotte sous une table suspendue au plafond. Ces œuvres, tout comme la table de banquet portée par un nain de jardin (Untitled (Dwarf Parade Table), 1969), constituent autant de virulents commentaires de l’économie consumériste et d’une société du spectacle aliénante. Surtout, l’accrochage permet de bien saisir la portée symbolique et religieuse du travail de Thek, né George Joseph, éduqué dans la foi catholique, qui choisit son nom à l’âge adulte en référence à l’apôtre Paul et qui, atteint du sida, songea en 1987 à se retirer dans un monastère. Dans une époque en proie à la guerre du Viêt-nam, à la lutte pour les droits civiques des afro-américains et des homosexuels, son art, y compris à travers les peintures métaphoriques exécutées sur des unes de journaux des années 1970, infuse la protestation, la lutte avec le corps, le dilemme sexuel, source de conflits intimes et de combats traduits par la récurrence d’allusions à la chair, la mutilation ou la mort. Jamais littéralement exprimés, ces questionnements s’imposent avec une force singulière. Une force de la confrontation avec laquelle on ne ressort pas indemne.
Jusqu’au 9 janvier 2011, Whitney Museum of American Art, 945 Madison Avenue, New York, tél. 1 212 570 3600, www.whitney.org, tlj sauf lundi et mardi 11h-18h, vendredi 13h-21h. Cat. coéd. Whitney Museum et Carnegie Museum of Art, 304 p., ISBN 978-0-3001-6595-1
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Traces du sacré
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaires : Sondra Gilman, Elisabeth Sussman et Lynn Zelevansky
Nombre d’œuvres : 142
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°336 du 3 décembre 2010, avec le titre suivant : Traces du sacré