Depuis trente ans, les Frac essaiment à travers la France une collection d’architectures uniques et autonomes dont une sélection, exposée au Centre Pompidou, invite au voyage.
Qui l’eût cru ? En 1982, à peine un an après son installation rue de Valois, Jack Lang a déjà dépoussiéré le ministère de la Culture, redynamisé l’ensemble, créé de nouvelles directions (Délégation aux arts plastiques…) inventé une série d’événements (Fête de la musique…), rapatrié au cœur du dispositif culturel design, mode, graphisme et même gastronomie. Bref, un véritable branle-bas de combat.
Parmi les nouvelles créations, l’une laisse un grand nombre indifférent, celle des Frac dont l’objectif, vaste et flou, a pour objet de faire pénétrer l’art contemporain au plus profond de la France (justement !) profonde… Peu y croient donc, à l’exception notable d’un grand galeriste parisien, lequel engage derechef une triplette d’accortes et dynamiques diplômées d’HEC qu’il envoie dans les 23 régions, avec mission d’y ouvrir portes et fenêtres, cœurs et yeux, à l’art contemporain. Pari réussi. Si bien même qu’agents, courtiers, galeristes et même artistes s’engouffrent dans la brèche, sans compter que les interlocuteurs sont le plus souvent de qualité. Les collections s’enrichissent, il s’agit de les stocker, de les montrer, de les faire voyager. On les loge ici ou là, de bric et de broc, un peu au hasard des circonstances. Et puis la réalité prend le pouvoir de façon impérative. Il faut aux Frac des lieux spécifiques, autonomes. Des concours sont organisés, souvent remportés par les meilleurs « jeunes crayons » du métier.
De Marseille à Besançon
Six d’entre eux actuellement exposés au Centre Pompidou témoignent non seulement de leurs qualités fonctionnelles et architecturales, mais tout autant d’un éclectisme, d’une personnalité, d’une variété d’écritures qui à eux seuls méritent le détour.
Grand vainqueur de la confrontation, le japonais Kengo Kuma, deux fois lauréat en Franche-Comté et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. À Besançon sur les bords du Doubs, il pose un de ses ensembles légers dont il a le secret, transparent, jouant avec subtilité de l’ombre et de la lumière, avec en guise de « peau » des assemblages de panneaux qui rappellent à l’évidence les armures réticulées japonaises et chinoises.
Dans un environnement autrement plus urbain, en plein Marseille, Kuma joue à nouveau de ces effets de peau en une variation qu’il maîtrise à la perfection. Presque à l’opposé absolu, le Frac Bretagne édifié par Odile Decq dans un nouveau quartier de Rennes, bloc hiératique, monolithe Fracturé, où dominent le noir et le rouge (couleur fétiche d’ Odile Decq) semble né d’une cosmologie façon « 2001 l’Odyssée de l’Espace » et son fameux cube mystérieux. Dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est Lacaton et Vassal qui l’ont emporté avec un projet qui accole deux immenses halles tout en verre et chapeautées de toits pentus (la pluie du Nord ?). Projet fluide, léger, transparent en tout point fidèle à l’écriture du duo, que l’on pourrait résumer à « less is more », et qui affirme sa volonté permanente du gain d’espace. Rien de tel à Bordeaux avec la proposition de Big (Bjarke Ingels Group), jeune danois très en vogue actuellement, associé pour l’occasion aux Français de Freaks qui livrent une gigantesque aile volante qui n’est pas sans rappeler la Grande Arche de la Défense (signée elle-même Otto von Sprekelsen, autre Danois…). Le Frac occupe le sommet de l’Arche, à 37 mètres de hauteur offrant ainsi un merveilleux belvédère sur la Garonne. Et puis enfin, le Frac Centre à Orléans, signé Jakob et MacFarlane dans un registre absolument inclassable, sorte d’objet volant non identifié à la peau vibratile et hautement technologique signée Electronic Shadow, que ni Jules Verne, ni Meliès, ni George Lucas ne désavoueraient. Un objet de dimension, peut-être modeste, mais dont les anciennes subsistances militaires qui l’enserrent, réhabilitées par les mêmes architectes, offrent toutes les surfaces nécessaires au fonctionnement maximum du Frac.
Demeure juste un petit regret : que le Frac Picardie que Toyo Ito devait édifier à Amiens ne voit jamais le jour, abandonné pour d’obscures raisons. Sans doute le démiurge japonais nous aurait-il gratifié d’une de ces arborescences dont il détient le secret. Mais qu’importe, les six « machines célibataires » aujourd’hui exposées au Centre Pompidou valent chacune le voyage pour leur seule architecture, et non pas seulement pour leurs collections et leurs activités. Se constitue là une collection d’architectures à laquelle personne n’avait songé voici trente ans.
Jusqu’au 14 octobre 2012, Centre Pompidou, Place Georges Pompidou, 75004 Paris, tous les jours sauf mardi 11h-21h, www.centrepompidou.fr
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Tourisme architectural
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : Tourisme architectural