Spectacle

Théâtres visionnaires

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2014 - 732 mots

Le Lieu unique de Nantes présente 80 maquettes de théâtres imaginaires couvrant plus d’un siècle d’utopie.

NANTES - Un an après l’exposition remarquée du travail des créateurs visionnaires, Lucien & Simone Kroll, le Lieu unique de Nantes s’intéresse à nouveau à l’architecture. Lieu unique, Laboratoire utile et utopique, le centre culturel reste fidèle à la ligne qui le caractérise le mieux, celle de l’expérimentation. Jusque janvier 2015, il accueille « Théâtres en utopie », un événement coproduit avec la Saline Royale d’Arc-et-Senans, où il avait été montré de juin à mars derniers. Lieu de représentation du monde par excellence et qui se répercute sur le réel, le théâtre entre ici en dialogue avec l’utopie à travers quatre-vingts projets issus de vingt pays différents. Ces constructions de papier, peu connues et dont il ne reste parfois que de vagues traces, forment une sorte d’histoire parallèle de l’architecture théâtrale, qui témoigne tant d’une fascination pour ces lieux que d’une inépuisable encyclopédie d’idées particulièrement stimulantes. Néophyte ou initié, le visiteur ne peut rester insensible face à l’étonnante diversité des formes imaginées, à l’audace des expérimentations techniques, à la variété d’expressions graphiques de chacun des projets et aux organisations sociales qu’ils sous-tendent.
À la fois architecte, acousticien et musicien, Yann Rocher commissaire de la manifestation, est un spécialiste des lieux scéniques. Par ailleurs, enseignant à l’école d’architecture de Paris-Malaquais, il avait lancé une investigation sur le sujet dans le cadre d’un séminaire en 2005. Cette recherche s’est concrétisée par l’exposition pour la Saline et le Lieu unique, réalisée avec les étudiants, lesquels ont fabriqué les maquettes.

80 projets novateurs
Du point de vue de la scénographie orchestrée par l’architecte et historien de l’art, Xavier Dousson, l’événement s’attache à essayer de retrouver les moyens du théâtre : il n’y a pas de texte à lire, mais une concentration du récit par le son. Des comédiens enregistrés décrivent ces morceaux d’architecture et le visiteur est plongé dans la pénombre pour mieux s’immerger dans les images des panneaux présentés sur des tables rétroéclairées.

Chronologique, « Théâtres en utopie » est structuré par ailleurs par des zones géographiques définissant quinze thématiques. Ainsi des « concours de l’ère soviétique » dans les années 1920 ou encore des « Théâtres utopiques sous la République de Weimar ». Cette section permet de découvrir les reproductions de très beaux dessins du jeune Hongrois István Sebök qui, dans le projet de Tanztheater (1926-1928), multiplie passerelles et escaliers connectés et dont le dôme central est habité par les spectateurs. Quelques décennies plus tôt, à l’époque de l’avènement de l’ère industrielle étaient imaginés des projets monumentaux.

Ainsi du Spectatorium par James Steele MacKaye en 1893 mis au point pour l’Exposition universelle colombienne de Chicago. Censée présenter le grand spectacle de l’Amérique, la conception scénique extravagante de ce lieu comprenait l’aménagement d’un bassin d’eau sur lequel se serait rejouée l’aventure de Christophe Colomb. Un cyclone suivi d’une dépression économique scellera l’abandon du projet à l’ambition démesurée.

Les quatre-vingts exemples choisis sont tous d’une grande richesse. Pour les parcourir deux heures sont nécessaires. Pour qui s’y attache, la déambulation est ponctuée de temps de pauses possibles grâce à l’installation de salons offrant de visionner des entretiens filmés, tel celui de l’architecte Hans Walter Müller à propos de l’utopie. Parmi les théâtres contemporains bouclant le parcours, l’occasion est offerte de voir ou revoir les superbes dessins du Théâtre national de Tokyo en 1985, conçu par le designer Philippe Starck et l’architecte Jean Nouvel, à l’époque où ils étaient encore pétris d’invention. Le bâtiment s’annonçait prometteur : d’une étendue de granit noir, lisse, émergeait une masse dans le même matériau sur les flancs de laquelle d’immenses ouvertures brouillaient toute notion d’échelle. Les créateurs réinterrogeaient le thème de l’entrée et de la relation entre la salle et son enveloppe. « Accédant par des sortes d’ouïes basses à travers une paroi de lumière de dix mètres d’épaisseur, le public aurait connu la surprise de découvrir un espace hyperdilaté de plus de cinquante mètres de haut entièrement revêtu de marbre noir ». Trois volumes d’or, incrustés en hauteur contenaient les salles. À l’intérieur, les loges suspendues sous la forme de nacelles permettaient différentes dispositions. La très forte concentration d’idées sera réinvestie dans d’autres édifices tel que l’opéra de Lyon par Nouvel, principal héritier de ce concours de Tokyo.

Théâtres en utopie

Commissaire de l’exposition : Yann Rocher
Scénographe : Xavier Dousson
Nombre de maquettes : 80

Théâtres en utopie

Jusqu’au 4 janvier 2015, le Lieu unique, Quai Ferdinand-Favre, 44013 Nantes, tel. 02 40 12 14 34, www.lelieuunique.com, mardi-samedi 14h-19h, dimanche 15h-19h, catalogue par Yann Rocher, Éditions Actes Sud 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Théâtres visionnaires

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque