Aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique, à Bruxelles, Lee Ufan développe
ses espaces de plénitude réflexive mis à mal par un accrochage très décevant.
BRUXELLES - Qu’elle soit peinture ou sculpture, l’apparente et relative simplicité de l’œuvre du Coréen Lee Ufan retient l’attention en entretenant avec le temps une relation particulière. Retenir semble d’ailleurs être le mot adéquat : elle maintient le spectateur dans l’acte contemplatif comme elle arrête le temps de l’œuvre, qui toujours apparaît comme suspendu, en attente d’un développement potentiel que pourtant rien n’annonce.
En convoquant ces deux pratiques, l’exposition que lui consacrent les Musées royaux des beaux-arts de Belgique, à Bruxelles, offre un éventail de travaux relativement modestes en nombre, mais suffisant toutefois pour en apprécier les qualités intrinsèques d’une pratique qui a fait du déploiement d’un espace réflexif, plus que méditatif, sa matrice. En témoigne la peinture accrochée dans les salles dites « Delporte » du musée. Le parcours voit se développer la dialectique de Lee Ufan, composée d’éléments similaires – un fond blanc et une forme générique, presque rectangulaire et sensiblement incurvée, dont les bords se chargent de relief à un endroit et la couleur glisse en douceur du gris vers le blanc – mais ordonnés différemment, en nombre, en orientation et en emplacement sur l’espace plan. Leur intensité et leur densité varient également, en fonction de la quantité de matière déposée par l’artiste au cours d’un processus lent et précis, nécessitant un très long temps de séchage entre l’application de chaque couche de pigments. Cette technique confère au tout une vibration infime. Ainsi se meut le regard entre Dialogue et Correspondance, réalisés entre 2006 et 2008, à l’exception notable d’un quadriptyque de 1998, qui synthétise à lui seul la cadence imposée par l’artiste, avec une succession d’une, deux, puis trois formes par panneau, avant un blanc final (Correspondance, 1998). Tempo qui rythme l’ensemble des salles et permet un marquage du territoire, tout en maintenant une tension quasi-imperceptible, un embryon de mouvement possible.
Une tension semble palpable également dans l’amorce de dialogue qui s’effectue dans les sculptures, au nombre de sept, entre des éléments métalliques – des déchets industriels non modifiés par l’artiste –, et des pierres qui leur font face. De la confrontation s’échappe délicatement une quête d’équilibre, et s’élabore une liaison entre société industrielle et nature. Du mouvement imperceptible naît l’amorce d’un développement possible, porté par l’imagination de chacun. Un espace réflexif donc, à propos duquel Lee Ufan souligne qu’il entend « créer un champ qui permette d’établir une rencontre entre l’homme et le matériel, un champ dans lequel on peut entrer et laisser son imagination se développer. »
Encore faut-il que, afin de saisir la finesse de l’œuvre, des conditions de présentations acceptables soient réunies, permettant à tout le moins un minimum de concentration. Si les salles dévolues aux peintures semblent l’être, il n’en va pas de même des lieux réservés à la sculpture, qui à une exception près sont tous des lieux de passage continu, et pas des moindres : palier situé au débouché de l’escalier principal, espace de liaison entre la sortie des salles et un autre escalier, dégagement bas de plafond face aux portes des sanitaires… Il n’est pas étonnant, dans de telles conditions, de voir un groupe de grands-mères qui pourtant n’ont sans doute pas intégré l’expérience de Carl Andre, piétiner allègrement une plaque de métal qu’elles n’ont de toute façon pas vue. Pour des sculptures prétendument sélectionnées « en fonction de la manière de les intégrer à l’architecture », l’expérience est rude. D’autant que toute forme de cohérence est dès lors déniée à l’accrochage.
Jusqu’au 29 juin, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, 3, rue de la Régence, Bruxelles, tlj sauf lundi 10h-17h, tél. 32 2 508 33 11
Site Internet : www.fine-arts-museum.be
Catalogue éd. Musées royaux/Snoeck, 96 p., ISBN 978-90-5349-676-3.
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Tensions réflexives
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Pierre-Yves Desaive, conservateur au Musées royaux des beaux-arts ; Philippe Dagen, critique d’art
- Nombre d’œuvres : 19
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : Tensions réflexives